Dr David Bloom: se réparer en réparant les autres

Nous sommes en plein midi. Alors que dehors luit le premier soleil de mai, les larges couloirs du pavillon Porteous de l’Institut Douglas sont silencieux. Assise devant un bureau clos, j’attends de rencontrer enfin le fameux Dr David Bloom, ce psychiatre si respecté, aimé jusqu’à l’adoration tant par ses quelque 600 patients que par l’ensemble du personnel; «un homme à l’écoute», «généreux», «un ange», «un Patch Adams qui se démultiplie», ai-je entendu dans toutes les bouches depuis mon entrée dans la vénérable institution de Verdun. Un homme que l’un de ses patients, un artiste, représente dans de multiples dessins sous les traits d’un super héros.

Retenu à l’urgence, Dr Bloom m’appelle courtoisement pour me prévenir de son léger retard. À mes côtés, une jeune fille agitée, visiblement stressée, attend elle aussi le psychiatre. Anxieuse, elle gigote, soupire, m’apostrophe à plusieurs reprises, faisant naitre en moi un vague malaise, moi qui n’ai que rarement côtoyé des personnes souffrant de maladies mentales. Sur son téléphone, Michael Jackson hurle de sa voix éraillée.

David Bloom surgit au détour du couloir, sa longue et svelte charpente voguant vers nous au rythme d’une démarche chaloupée. Son œil clair sourit. Il rejette en arrière ses longues mèches grisonnantes, s’adresse à la jeune fille avec un naturel total qui me fait un peu honte. Contrairement à moi, David Bloom a appris depuis des lustres qu’avant d’être un malade, une personne souffrant de problèmes de santé mentale est un être complexe, entier; un homme ou une femme avec des besoins fondamentaux, dont celui d’être aimé et rassuré. La jeune fille s’éloigne vers d’autres quêtes.

Il faut dire que David Bloom possède une connaissance hors pair des patients en santé mentale, lui qui travaille depuis plus de trente ans avec les plus atteints d’entre eux. Dans la lumière douce de son bureau, David Bloom se raconte avec simplicité. Son plan de carrière, explique-t-il un sourire dans la voix, n’incluait certainement pas de devenir Chef du programme de déficience intellectuelle et de s’occuper des patients souffrant de multiples problèmes de santé mentale au Douglas. «Au début de mes études (il est diplômé de médecine de l’Université Queen’s de Kingston en Ontario), tout ce qui tournait autour de la psychologie, de la psychiatrie, me rebutait. Il a fallu longtemps pour que j’écoute l’appel. J’ai longtemps résisté.»

Originaire de la Saskatchewan, il comptait retourner y exercer comme médecin de famille. En fait, il aura fallu des années de recul pour reconnaitre une vocation dont il est fier, née, dit-il, du besoin profond de réparer une double blessure originelle.

«A six ans, j’ai perdu ma mère, d’une tumeur mal soignée au cerveau. Puis l’année d’après, mon père, déjà en dépression, est mort d’une crise cardiaque». Recueillis par des parentes, David, son grand frère et sa petite sœur ont tout perdu de leur ancienne vie, y compris la grande maison familiale.

David a travaillé dur. C’est pendant son internat qu’il a trouvé chez les patients en psychiatrie un certain écho à ses propres souffrances. Entré au Douglas en 1982, il traite et assure le suivi de patients qui souffrent de troubles sévères. Il participe en plus en collaboration avec ses collègues du Centre de recherche à de nombreuses études en psychopharmacologie et en recherche psychosociale.

Le monde des soins en santé mentale a bien changé. David Bloom a vu évoluer, non, se révolutionner, les traitements aux patients. «Quand j’ai commencé, un diagnostic de schizophrénie signifiait que c’était fini pour quelqu’un, qu’il ne pouvait plus penser avoir une vie active; pour la famille, aussi, c’était terrible. On ne pensait pas à la possibilité de rétablissement. Les patients et leurs familles étaient terrifiés». Aujourd’hui, même si de 5 à 10 pour cent des patients ont une forme ultrarésistante de maladie, il y a toujours moyen d’aider, de minimiser les effets de la maladie, de lui prodiguer du confort, explique David Bloom.

Le confort du patient, son bien-être, son accompagnement, tel s sont les vecteurs qui guident sa pratique. Cette approche profondément humaniste, David Bloom dit l’avoir trouvée à l’Institut Douglas. Il se réjouit aussi des programmes très prometteurs qui y occupent les chercheurs, tels que l’intervention précoce dans le cas des premiers épisodes de psychose. L’avenir est en marche, c’est rassurant.

Un jour, il faudra bien passer le relais aux plus jeunes, soupire David Bloom. Un jour. Pas demain la veille. Ce soir encore, les patients l’attendent, pour des soins, une jasette, de l’écoute. À vue de nez, Dr Bloom a encore beaucoup de temps pour se réparer en réparant les autres.


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Posted in stigma.

Posted on 31 Oct 2014, by florence

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