Un coup de 4 roues en pleine face.

La vie est particulière.  Elle est faite de petits bonheurs: les premiers flocons de neige, l’odeur du lilas quand on revient à la maison, quelqu’un qui dit notre nom avec un sourire dans la voix.   Elle est aussi faite de petits deuils quotidiens: se lever en retard, perdre un ami de vue, subir un échec scolaire.

Et de temps en temps, au détour d’une fin de semaine ou d’un coin de rue, un drame nous arrive en pleine face.   Un deuil.   Un vrai.   Une claque qui te sonne pendant quelques minutes ou quelques jours.   Et qui transforme ton chemin pour le reste de ta vie.

Ma vie n’est pas particulièrement particulière.   Je me lève chaque matin et j’essaie de faire de mon mieux, comme vous.   Mais quand un de ces deuils survient, on ne peut faire autrement que d’encaisser.

« Regarde seulement la pièce  où résonne ta vie.    L’ombre jamais vue visible maintenant, dans les yeux du soir. »

Hélène Dorion

Les gens réagissent différemment à l’annonce d’un deuil.   Certains restent dans la trappe de la nouvelle et ne peuvent en sortir.   Ils sont en choc, incapable de franchir le pas, d’acceuillir le changement.   Le corps les rattrape habituellement en quelques secondes ou quelques minutes.   On ne peut rester longtemps dans un état de choc, les organes vitaux choisiront la survie et l’intellect sera mis au 2e rang.   Les choix pour « continuer » dans le choc sont peu nombreux.   Si vous avez vécu un trauma, votre réponse à celui-ci a été un bon indicateur de vos mécanismes de défense et de leurs efficacités.

La négation aussi est un des premiers tableaux du deuil.   « Ceci » n’est pas possible alors on cherche à s’éloigner physiquement ou mentalement.   On gère et on mène, on sort, on travaille, on roule un peu plus vite, on boit un peu plus.   On fonctionne, et même très bien merci!   L’entourage qui tente d’offrir du support obtient non pas la chaleur d’une épaule mais plutôt son haussement.   Le regard sur ses gardes, l’autre ignore notre « Comment ça va? ».   Il prétend avoir quelque chose à faire et il repart au plus vite avant que le miroir ne craque.

Le marchandage est multiple.   Invoquer le drame pour obtenir une faveur, menacer, se tourner vers Dieu et/ou les décideurs et leur promettre l’engagement et/ou la lune.   Dans le marchandage se produit habituellement l’ouverture au drame.   Le drame n’est plus nié, il existe.   Et bien qu’il soit pris dans la gorge, le deuil commence à devenir intérieur.

« Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que des princesses qui attendent de nous voir heureux ou courageux »

Rainer Maria Rilke

Pour moi, il est plus facile de travailler avec la colère et la peine du deuil que les étapes précédentes.   Tant que le deuil, le drame n’est pas accepté, on se bat contre l’autre, incapable de s’entendre sur la réalité du moment, sur l’équipe que nous allons former, ensemble.   Comme clinicien, comme parent, je peux suggérer la prochaine étape, la normaliser.   C’est ce que j’ai souvent fait lorsque un patient gardé contre son gré était choqué, niait ou marchandait la réalité c’est-à-dire la suspension de son droit d’aller et de venir à sa guise.

De dire à l’autre qu’il est acceptable qu’il soit en colère ou peiné, c’est lui donner la chance de le devenir.   Ne plus faire le sur place épuisant du choc, de  la négation et/ou du marchandage.   L’aider à exprimer sa colère, sa peine.   Se placer aux cotés de l’endeuillé, pour l’accompagner.   Pas contre lui, avec lui.

Ma vie n’est pas particulièrement particulière.   J’ai, entre des drames, vécu des bonheurs intenses: gagner une semaine à Chamonix, m’installer pour lire dans mon solarium, manger une tomate de mon jardin, savoir que cette forme de cancer est au stade 2 et que le pronostic est excellent.

J’apprends à recadrer ce grand deuil dans des petits deuils quotidiens et à transformer mes dragons en princesses.   Et j’accompagne des princes et des princesses qui font face aux dragons avec des alliés : l’art. l’humour, l’amour.   Et justement, tout ce beau monde m’accompagne.

« Dis-moi!   Que ça ne sera pas long, que ceux qui viennent ici restent pour un temps et puis repartent à la maison
Dis moi!    Dis moi que je suis beau que ma jaquette bleue fait ressortir mes yeux dans le bon sens du mot
Parles-moi du mauvais temps, refais-moi penser à rien si je ressors en pleurant du bureau du médecin… »                      
« Le bureau du médecin »    Les trois accord, 2009

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Publié le 21 mai 2012

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Un commentaire à Un coup de 4 roues en pleine face.

  1. Le Priol
    Le 22 mai 2012 à 09:24
    Répondre

    Bonjour,
    merci.
    Véronique

    Cela me fait plaisir
    Liette