Bel à lier, Scène 4, Jean Luc

C’est Jean Luc qui m’a approché pour un partage sur mon blogue.   Il voulait partager son histoire, sa vision de la maladie et de l’art et sa toile intitulé « Le tourment ».   Je me souviens de lui, nos chemins se sont croisés dans le passé:  à l’urgence où j’ai déjà été son infirmière et plus tard, quand j’ai su qu’il avait été choisi pour le logo d’un des services du Douglas, Le Tremplin, un hôpital de jour de l’époque.   En décembre 2012, nous nous sommes revus, au vernissage de ses œuvres au Centre Wellington où il exposait avec Susie Robitaille, une infirmière clinicienne et artiste bigarrée.   Je le remercie d’avoir ainsi partagé sur ses symptômes, de sa maladie.   Les gens comprennent bien la dépression ou l’anxiété mais lorsqu’on parle de schizophrénie, les gens sont plus perplexes, moins inclusifs.   Voici donc, grâce à Jean Luc, le 4e portrait de ces beaux alliés.

1- Bâtir une vie significative: Comprendre, accepter sa maladie, prendre sa vie en main, s’impliquer dans sa communauté.

« La maladie mentale est un accident sur notre parcours. Quand tu es dans la maladie, tu as l’impression que cela n’a pas de fin et c’est comme si dans son évolution, la maladie se sature et les idées se replace à un moment. Avant, on pensait que c’était incurable. Il y a plus d’espoir maintenant. Quand j’avais 5 ou 6 ans, j’étais gêné, renfermé, je n’aimais pas l’école. À 19 ans, en 1985, j’ai basculé dans un autre monde. J’avais pris de la drogue et au début je me suis dit que c’était à cause de cela. J’ai cherché après d’autres raisons : vu que j’avais travaillé avec du matériel, j’ai pensé que c’était peut être du plomb que j’avais sur les doigts et qui m’affectait. Cela a duré 4 jours. J’ai ensuite eu un moment où je n’étais plus capable et j’ai été voir ma mère en pleurant. Elle m’a dit de pleurer, « cela fait du bien ». Mais moi, ce que j’ai compris, c’était que j’allais continuer de souffrir. C’était trop et je me suis mis à crier et c’est là que ma mère m’a emmené à l’hôpital Douglas.  L’idée était encore là et je devais accepter que le monde était contre moi. Les gens était des robots et je me disais que c’était cela la réalité et après, un indice me disait que ce n’était pas des robots alors je cherchais une autre raison pourquoi les gens n’étaient plus pareil. Je passais beaucoup de temps à essayer de trouver une explication à ce que je percevais. J’avais peur que de ceux qui me soignaient, ils allaient m’enfermer, la camisole de force, … Tout ce qu’on pense que c’est la folie, comme au cinéma, c’est ce que je pensais qui allait arriver. »

2- Identité positive, Faire une place à la maladie, à un sentiment fondamental positif.

« J’ai appris sur ma maladie par un ami qui a parlé un peu de la schizophrénie. J’ai surtout regardé dans un livre de psychologie de mon frère Jean Marc. Ma famille, mes amis m’ont aidé, j’avais peur de perdre les amis donc je ne voulais pas trop parlé de mes impressions de la réalité. D’autres schizophrènes comme Gaétan, Carl, avec qui j’ai été au Centre de jour au sous-sol du C.P.C. avant. Ils avaient plus d’expérience avec la maladie et ils m’ont aidé parce que je voyais ce que c’était que d’aller mieux. Les changements que je vois depuis le début est que je comprends mieux la vie. Cela diminue mes idées que les autres sont contre moi. Je sais que je dois aller vérifier si ce que je pense est vrai. Je n’ai jamais personnellement eu de commentaire bizarre ou étrange par rapport à ça. Un défi pour moi maintenant par contre est de servir un peu de pont entre ceux qui sont malades, comme au Centre Wellington, et les gens en général. J’appartiens à ces 2 groupes, pas à un ou à l’autre. Je crois que comment on voit la maladie mentale dépend beaucoup de si on a déjà eu des contacts avec ce genre de problème. On comprend mieux si quelqu’un dans notre entourage est déjà passé par là. Si on n’en a jamais souffert, on ne veut pas de rapprochement. J’ai eu pendant longtemps peur de finir ma vie au Douglas, enfermé, c’est ce que je pensais quand je ne voulais pas parler au personnel de l’hôpital.  C’est bon maintenant que les clôtures qui entouraient le Douglas ne soient plus là, cela ouvre. Bien sûr, on en entend parler de schizophrène qui tue ses parents et cela fait peur. Mais on a quand même moins peur si on n’a pas de barrière. Cela permet à ceux qui sont en dedans de sortir, la désinstitutionnalisation, et ça permet aussi à ceux qui ont besoin d’aide de venir en chercher. »

3- Être responsable et avoir le contrôle.

« La peinture que je partage date de 2000-2002, je peignais au Centre Wellington. J’ai commencé à peindre un ciel, des nuages et peu à peu cela cette toile s’est développer. J’ai fais le bois qui brûle, une tombe qui brûlait et qui m’emprisonnait, avec l’eau pour les émotions. Les gouttes de métal sont aussi apparues, pour la souffrance. J’avais un peu peur quand je travaillais dessus parce que cela me rappelait ce que j’avais vécu. Mais j’ai persisté. J’ai trouvé le titre de cet œuvre « Le tourment » bien vite. Quand j’ai eu fini la toile, Edmina Bouchard m’a demandé comment on allait l’appeler et c’est venu tout seul, vu que c’était cela que ça représentait : être tourmentée. Je ne suis pas attaché à cette peinture, je me sens détaché. Ce qui m’intéresse plus c’est de créer, pas de garder les tableaux que je fais.  Je ne vois pas de risque pour ma santé mentale dans la création. »

4-Trouver et préserver l’espoir, Croire en soi, Sentiment d’être capable, Optimisme face à l’avenir.

« J’ai commencé à vraiment aller mieux lorsque j’étais au CPC3. Le monde de robots a changé, la vie s’est organisée. Puis, en février 2007, j’ai eu une expérience particulière. J’entendais des voix à l’époque et j’ai entendu une fille qui disait aux autres « Il est dans une tombe » et un gars a répondu aux autres « On va le sortir de là ».  Et après, je me suis senti libéré, en contact avec le monde. J’ai encore des journées plus difficiles, je dois respecter mon rythme mais je ne suis plus aussi malade. Aux personnes qui commencent la maladie mentale je suggérerais de parler, de confronter ce qu’ils pensent pour avoir du feed-back. Si personne parle, les idées persistent… Mais la folie se tasse, à un moment. »

Comme on le dit souvent au Crossroads. les gens sont beaucoup plus qu’un diagnostic.   Les toiles de Jean Luc Goedike donnent le goût d’aller dans le bois, de se retirer dans la nature et de profiter du moment présent, toujours assis devant ses toiles.

Naître comme artiste

« L’art, pour moi, fait réfléchir. C’est un élément décoratif, un élément de beauté, d’émotions. Cela emmène une réflexion peu importe si c’est de la peinture, de la photographie, toute forme d’art.  J’ai commencé jeune, ma mère nous installait mon frère Jean Marc et moi, elle mettait des grandes feuilles et on dessinait.   On se montrait ce qu’on faisait chacun.  En 1990-1992, j’ai acheté de la peinture et je regardais les portraits d’artistes à la télé.  J’aime la peinture à l’huile à cause du relief, de la texture. Toute sorte de chose m’inspirent, surtout la lumière, les couleurs à la campagne, les arbres, le jaune que je voie sur une grange, le soleil, comment il éclaire.  Je n’ai pas d’artiste favori.    J’aime Dali, avec les choses déformées. J’aime aussi quand on voit une image claire de loin et quand on s’approche, on s’aperçoit que c’est plusieurs petits points qui donnent une surface.  J’ai exposé au Centre Wellington et mes toiles sont vendues dans la boutique.  Je prends aussi des cours à la Galerie McClure de Westmount et j’exposerai peut être dans cette galerie, lors du vernissage des toiles des étudiants.  Je verrai… »

Grandir comme artiste

« Mon art parle surtout de la lumière, des effets de la lumière. Le soleil, la lumière après la pluie. Je fais plus dans le réaliste. Je n’ai pas eu beaucoup de changement depuis le début mais j’espère en avoir car je prends les cours.  J’ai beaucoup appris par moi-même et j’ai dû quand même prendre des cours de débutants avant d’atteindre ceux plus avancés. Je n’ai pas appris autant que je voudrais pour le moment mais en même temps j’en vois d’autres qui « rushent » présentement. Un des défis pour moi reste la création de personnages, les chevaux aussi, c’est plus difficile. Je pense que l’artiste fait réfléchir, nous emmène sur autre chose, un regard différent. J’ai plus de misère avec l’art contemporain, pour moi, enligné des cannettes et dire que c’est de l’art, c’est exagéré.   C’est plus une mode et cela ne fait pas de sens pour moi. La chose la plus étrange qui revient sur mes productions est le fait que cela soit sombre. Pourtant, c’est l’effet de la lumière qui m’intéresse, c’est mon thème principal. »

Aller à son maximum

« Je trouve mon titre selon une idée, une émotion quand la toile est finie. Je n’ai pas de période où je suis plus productif, je peins l’hiver comme l’été. J’ai besoin de 3 ou 4 jours pour chaque toile au moins, il ne faut pas que la peinture sèche. Dans le cours que je suis, on travaille pendant 3 heures constamment et le lendemain, je ne peux pas peindre car j’ai trop mal au bras. Je n’ai pas besoin de quelque chose de spécial pour peindre, je mets de la musique des fois. Bien que je ne sois pas le prochain Michel Ange, j’ai quand même besoin de reconnaissance et quand je vends une toile, c’est ce qui arrive. »

Mourir à son œuvre

« Je sais que ma toile est finie quand je n’ai plus de moyens pour l’améliorer, quand le fait de l’améliorer va la gâcher. Je fais autre chose aussi, de la musique, je lis. Mon conseil pour un futur artiste serait d’apprendre le dessin, ce sera ensuite plus facile. »

J’ignorais tout du monde qui se cachait derrière ce jeune homme qui semblait un peu gauche, toujours en retrait lorsqu’il venait à l’urgence.   Je découvre avec cet échange un homme simple, aimant la nature, un homme dont le témoignage me fait regretter de l’avoir si peu deviné quand je lui donnais des soins.

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Publié le 13 mai 2013

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5 commentaires à Bel à lier, Scène 4, Jean Luc

  1. Sylvie Bouchard
    Le 14 mai 2013 à 18:11
    Répondre

    Quel beau témoignage de rétablissement, inspirant et touchant.
    Merci Jean-Luc et Liette !

  2. Dominique
    Le 19 mai 2013 à 00:08
    Répondre

    Jean- Luc, tu as parfaitement raison. L’art es une forme de vie qui ne demande qu’a s’exprimer. Nous , être particulièrement sensible s’exprimons bien par différents médium. Continue ton chemin, tu y fera nombre de rencontre fructueuse.

    Dominique TPL

  3. barry crago
    Le 21 mai 2013 à 18:36
    Répondre

    Bravo pour l’article! À la fin, content de voir que le Le Centre Wellington a été ajouté dans les références.

  4. Edenne F.
    Le 4 juin 2013 à 18:39
    Répondre

    Merci pour le partage Jean-Luc et Liette.

    En effet, les liens entre créativité et maladie mentale sont fascinants et bien documentés: http://maladieaffectivebipolaire.wordpress.com/2013/05/21/une-folie-de-premiere-classe/

    Bon courage pour la suite!

    • Liette Desjardins
      Le 5 juin 2013 à 11:36
      Répondre

      Merci pour l’accès à ton propre témoignage. Je suis toujours fascinée par la générosité des gens à partager sur un monde qui est encore tabou. Ce sont vos témoignages qui font tomber des barrières. Liette