One moment please, un moment S.V.P.

Il arrive quelquefois que les cliniciens, comme équipe, souffrent momentanément d’un trouble d’adaptation.   Rien qui mette en péril la qualité des services.   Juste assez de stress, habituellement plusieurs dans un court laps de temps, et voilà que la machine rencontre un grain de sable.

L’implantation d’un projet de recherche dans une période de vacances du personnel, l’arrivée d’un nouveau chef de service et le départ de l’ancien, des conflits entre les patients en même temps que la supervision d’un stagiaire, voilà des exemples de stress cumulés qui peuvent affecter l’homéostasie d’un service.

Des organisations comme les hôpitaux  doivent faire face à des situations qui deviennent nécessairement des grains de sable.   Une agression physique avec blessé(s), un suicide, un feu avec évacuation de patients alités ou à mobilité réduite.   On parle alors d’événement sentinelle.   Habituellement, suite à un tel événement, l’équipe souffre momentanément d’un trouble d’adaptation avec humeur dépressive ou anxieuse, c’est selon.

Les événements sentinelles

Via la gestion des risques, toute organisation peut faire face aux conséquences prévisibles d’un événement grave en fonction de données reconnues.   Ainsi, on utilise une « map » pour répondre aux besoins essentiels : le support à l’équipe concerné, les demandes d’entrevue des médias, le besoin de quitter d’un clinicien traumatisé, la possibilité d’une plainte.   Meilleur est l’algorithme, meilleure est la réponse « organisée » du système.

Les expériences antérieures permettent donc de tirer des leçons sur ce que devrait être de meilleures pratiques et il est important pour les équipes d’avoir accès à ces algorithmes afin d’agir selon le savoir faire attendu.   Comme on ne peut tout prévoir, la création de certains algorithmes survient parfois suite au constat d’une entité externe à l’organisation comme un rapport du Cororner ou d’un ordre professionnel.

Dans de telles circonstances, l’accès à des processus efficaces permettrait  à l’équipe de retrouver son homéostasie.   Mais comme les organisations l’apprennent, chaque situation déroge habituellement un tantinet du cadre préétabli.   Parce que la situation est non seulement clinique et organisationnelle, elle est surtout à dimension humaine.

"Crossroads" Martin Liebermann

Les risques du métier ?

J’ai tout entendu.

L’abus des enfants, la dépression d’un pédophile, un membre du personnel désorganisé   J’ai aussi  été scié par l’annonce d’un suicide.

Je me suis déjà retrouvée assise avec mon équipe à me questionner sur ce qu’on aurait pu faire d’autres.

Arriver à la conclusion que l’on a agit aux meilleures de la situation.   Mais me sentir coupable quand même.   Et vivre avec la perte.

Quand un tel événement frappe à la porte d’un service, un « quotidien » particulier se met en place.   Les interventions de soins continuent avec, en parallèle, des obligations: décider de divulguer aux autres patients présents la situation, travailler même si nous souffrons aussi.   La réussite de ce défi dépend de notre don d’acteur et/ou de notre capacité à mettre cette infornation dans une petite boîte et sciemment décider de la regarder plus tard.   Répondre aux téléphones de ceux qui questionnent, qui veulent aider, qui veulent évaluer les dommages collatéraux.   Recevoir l’appel d’un proche…   Rencontrer ceux qui doivent utiliser la crise pour tester les algorithmes.   Accepter.

On prévient de plus en plus même si après le choc on oublie toutes les fois où nous avons aidé, toutes les fois où notre main s’est tendue et qu’elle a été prise.

Malgré le tumulte causé par la nouvelle, l’obligation clinique de moyens, non de résultalts doit être gardée en mémoire tout comme le facteur humain.   En accompagnant l’organisation dans sa validation des mesures prises, on constate des biais dans l’équation :   Le gestionnaire ébranlé ou maladroit, l’hypersensibilité du clinicien, son retrait plus ou moins prononcé derrière un masque professionnel, la colère.  Ou encore les farces de celui qui ignore tout du drame.   Ou ce patient qui profite justement de cette journée pour suggérer que l’équipe reçoive une médaille.

Comme je le rappelais à ma stagiaire, lorsqu’on travaille à l’institut de Cardiologie de Montréal, les décès de patients sont en terme d’infarctus ou d’insuffisance cardiaque.   Je travaille en psychiatrie.

J’ai eu à l’urgence et j’ai encore la chance au Crossroads de travailler avec une équipe soutenante dans la crise. Nous avons  aussi chacun, chacune, notre façon de vivre les événements sentinelles.   Avec l’expérience, je sais que pour moi, l’intensité vient après quelques jours.

Nous pensons beaucoup à lui, ainsi qu’à sa famille.   Nous persistons à croire dans le rétablissement, parce que la majorité y parvienne.

Centre de Prévention du Suicide du Québec


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Publié le 27 nov 2011

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2 commentaires à One moment please, un moment S.V.P.

  1. Benoit Cameron
    Le 2 déc 2011 à 16:02
    Répondre

    Bravo: très bon article qui va au-delà des vérités connues de tous, bref qui nous informe en plus de profondeur.
    Merci.

  2. Andrée Dupuis
    Le 4 déc 2011 à 22:19
    Répondre

    Bonjour Liette,

    Félicitations pour ce texte qui porte à réfléchir et ce, même à la retraite! Dans le cadre de l’action bénévole, l’inusité, l’imprévu, les bonnes et les moins bonnes surprises nous rejoignent un jour ou l’autre. Nos grains de sable s’avèrent généralement plus petits mais non moins importants.

    Au plaisir de te lire à nouveau.
    Joyeuses fêtes!