J’aime beaucoup la bande dessinée et lorsque je vais à la bibliothèque, je m’attarde dans cette section qu’on associe souvent aux enfants alors que…
Sibylline a dix sept ans lorsqu’elle est hospitalisée en psychiatrie après une tentative suicidaire. L’anxiété de l’enfance, le suicide de sa mère par arme à feu à cette époque et son difficile pèlerinage vers la vie « adulte » touche dès les premières pages. Des dessins simples, des textes épurés et le lecteur se retrouve impuissant, comme elle, cantonnée dans un rôle de spectateur du quotidien d’un service psychiatrique.
Comme infirmière, certains regards m’interpellent: l’absence d’interventions thérapeutiques autres que la médication et ce contrôle par le personnel infirmier. Une vision assez juste de ce qui se fait comme nursing chez nos cousines françaises si on en croit la rumeur. D’autres constats sont universels: l’absence de la famille, le dénuement, l’isolement ressentis dans les unités d’admission. Un portrait à la fois triste et vrai. Malgré un désir des organisations de diminuer l’aspect asilaire des départements psychiatriques, l’impression de « no man’s land » persiste. Et ce nombre toujours important de patients dans un espace restreint…
La vie de ceux qui y travaillent est une routine, la vie de ceux qui y séjournent est en suspend… sauf si on est un malade chronique où on est à cheval entre ces 2 mondes. Dans son entrevue avec Actuabd de 2011, la scénariste partage plusieurs planches du livre et dit: « Je crois que (le mixte de pathologies plus ou moins graves) alimente la solitude, l’ennui et le manque d’échange ». Des tensions naissent. Le voisin de chambre qui nous empêche parfois de dormir, ou qui quête des cigarettes, ou qui revient parfois d’une sortie plus gelé qu’au départ ou plus pressé de nous quitter alors qu’on commençait seulement à s’habituer à lui.
Le livre est loin d’être complaisant, à commencer par le portrait que donne d’elle même l’auteur.
« J’ai écrit 20 lettres d’adieux, en essayant de n’oublier personne. C’est que j’ai peur de vexer. » p 15
« Je fume trois paquets par jour… Je chasse l’odeur de tabac froid avec de la fumée neuve. » p 27
Et lorsqu’arrive la fin, on retrouve des notes réelles du dossier médical de l’auteur. Des notes plus subjectives qu’objectives, qui parlent d’interventions mais peu d’échanges, dont elle parle dans son entrevue à Actuabd:
« Et quand j’ai récupéré mon dossier à Saint Anne, comme j’explique à la fin du livre, j’ai été très étonné par ces gens qui ont passé tellement peu de temps avec moi et qui ont si bien saisi ce mal-être »
L’histoire finit bien, Sibylline est redevenue M et Mme tout le monde, anonyme. Sa tranche de vie, ses écrits restent et me permet d’ouvrir un dialogue sur la psychiatrie, ses desseins.
Au fond de sa cellule
le sage soutient le monde
Mascotto
SIBYLINE & SICAUD, « Sous l’entonnoir », Delcourt, 2011, Collection « Mirages », 143 pages
Classé dans artiste, bande dessinée, bd, dépression, interventions, littérature, livre, psychiatrie.
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Publié le 10 juin 2014
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