Triage quand tu nous tiens…

L’historique du triage vient d’une constatation très simple :

3 catégories

  1. Ceux qui vont vivre, peu importe les soins
  2. Ceux qui vont mourir, peu importe les soins
  3. Ceux pour qui des soins immédiats vont faire une différence

Voilà les prémisses du triage, depuis ses débuts.  Dans des champs de batailles durant les guerres napoléonniennes, dans les tranchées de la 1e guerre mondiale et les bombardements de la 2e dans les décombres d’une catastrophe naturelle, humaine, humanitaire ou dans les tragédies terroristes.

le triage à l'urgence, publication de l'OIIQ, p.5

Avec l’organisation des soins en milieux hospitaliers, l’OIIQ et la Collège des médecins ont établis en 2001 les modalités de triage dans les urgences au Québec.  Si la priorité 1, 2 et 3 indique la gravité et l’imminence du besoin de soins, les priorités 4 et 5 ne représentent pas la population pour qui l’urgence est un filet de sécurité.  On parle ici de ceux qui vont vivre, peu importe les soins.  Dans ces derniers cas, on se présente souvent en salle d’urgence faute d’endroit où aller, ou par manque d’information sur l’éventail des sources d’aide dans la communauté. Dans le cas de maladie mentale, la honte et le déni entraînent souvent un délai à demander de l’aide et donc une complexification des interventions. Ce qui était une priorité 4 ou 5 au début des symptômes s’est transformée en besoins en soins immédiats.

Le spécifique de la psychiatrie dans une urgence générale

Le manque d’acteurs autonomes dans les urgences générales fait qu’un cheminement plus lourd et plus long se dessine quand une personne souffrant psychologiquement se présente dans ce service pour obtenir de l’aide.  Un exemple de trajectoire rapportée serait Triage – Évaluation médicale – Consultation en psychiatrie – Évaluation psychiatrique -et/ou congé – Évaluation professionnelle et prise en charge soit dans un service de psychiatrie ou congé. Rarement ce dernier maillon se passe directement dans la salle d’urgence.

Dès 2006, le Guide de gestion des urgences du Québec désigne les personnes souffrant de maladie mentale comme étant une « population vulnérable » qui mérite un traitement adapté à ses besoins.   Le gouvernement, de part des mesures strictes en lien avec le séjour à l’urgence (nombres de civières au permis, durée du temps de séjour acceptable,…) peut favoriser une pression indue sur le système qui a du mal à cibler ses indicateurs de performance.   Dans cette même veine, plusieurs des urgences visitées lors de sessions de transfert de connaissance témoignent d’un processus ancré dans d’autres considérations que la présentation des symptômes du patient.  Certaines infirmières mentionnent un sentiment d’incompétence devant le patient psychiatrique malgré des années d’expérience. D’autres parlent des lieux, d’organisation de travail pouvant augmenter la détresse de ces patients qui se retrouvent au sein du service d’urgence; ce que reconnaît le guide gouvernementale.  La salle d’attente, les cubicules d’entrevues, en passant par l’organisation des civières, l’intimité, la promiscuité représentent des considérations qui influencent l’infirmière dans la priorité donnée.  Pourtant, la symptomatologie clinique devrait être la considération déterminant la trajectoire de soins.

Les infirmières faisant le triage rapportent donner une priorité plus grande que les risques immédiats pour plusieurs raisons: « faire voir » un cas qui risque d’attendre des heures parce que c’est un cas de psy, mettre une priorité 2 car l’organisation juge cette sévérité minimale pour l’accès à une civière ou un cubicule.  D’autres briment le droit des individus à aller et venir par crainte du suicide et ce peu importe la présence ou non de risques suicidaires et l’engagement du patient dans sa demande d’aide.  On parle aussi de ne pas savoir quoi faire, quoi dire, ne pas voir de solutions aux problèmes alors qu’on veut intervenir.

On note aussi une tendance à des triages donnant une priorité plus basse que les risques présents par manque de repères reconnus.  L’utilisateur fréquent d’une urgence qui a des propos suicidaires chroniques qui souffre cette fois-ci de dépression, ou celle qui s’est automutilée pour avoir de l’attention.   Le guide fait aussi mention d’un des défis de l’Urgence: le besoin de visites via des rendez-vous planifiés.  Dans ce cas-ci, c’est la comptabilisation de la visite et du triage qui questionne.  L’urgence a, dans ce dernier exemple, un rôle de relance.  L’organisation des soins doit donc permettre un cheminement parallèle à celui du triage pour l’obtention de soins professionnels.   Un bon exemple serait le retour attendu en urgence le lendemain pour l’évaluation de l’évolution d’une fracture.  Des cliniques de relance existent dans plusieurs urgences du Québec et ne dépendent pas du personnel infirmier attitré au triage dont l’évaluation des arrivants est la priorité.

Le spécifique de l’urgence psychiatrique

L’IUSM Douglas a la chance d’avoir dans son urgence du personnel clinique performant en urgences, en psychiatrie et en santé mentale, ce qui est très rares dans les milieux de soins du Québec. Un champ d’expertise spécifique.

On a toujours les défauts de nos qualités.  Alors que l’urgence générale démontre une moins grande expertise dans les soins psychiatriques, ce sont souvent les soins physiques qui représentent un défi dans une urgence désignée psychiatrique.  Tout ce qui est cathéter, « ouvrir une veine », évaluer la condition pulmonaire ou la présence d’un globe vésical devient un événement pour l’infirmière qui pratique depuis quelques années dans une urgence psychiatrique.   Plus spécifiquement, alors que l’IUSM Douglas continue son engagement envers l’amélioration continue, le personnel clinique de l’Urgence est invité actuellement à repenser son mode d’acceuil et les modalités de relation d’aide.   Malgré la détresse exprimée, cibler un triage par une évaluation infirmière des risques imminents, dans un délai de 10 minutes.  Prioriser selon la gravité des symptômes et certaines variables au moment de la visite.  Se rapprocher de la performance attendue d’une urgence, peu importe la spécialité de l’hôpital auquel elle appartient. Constater et cadrer des symptômes dans une échelle mesurable, que ce soit une fracture, une fièvre de 3 jours ou de l’anxiété modérée.  Toujours aussi ce devoir de l’infirmière au triage de tenir compte de l’achalandage et des ressources disponibles dans l’organisation des soins.  Être consciente du potentiel de détérioration du prochain patient qui sera là tantôt, sur le pas de la porte.

Nous nous voulons innovants.  Trier avant l’inscription, évaluer la situation selon des symptômes qui évoluent et sont influençés par la présence ou non d’un accompagnateur, la qualité de la communication, l’accès à un réseau supportant et l’acceptation ou le refus de l’aide disponible.  Le défi est de taille pour ce nouvel espace que nous planifions pour 2015, prendre prioritairement une photo des risques encourues, explorer ensuite le cadre de la crise, l’aval, l’amont, et offrir en équipe des modalités d’interventions pouvant amorcer la résorption de celle-ci.

dépression selon Vava (détail)

Le filet de sécurité que nous tentons de créer depuis quelques années mise sur l’aménagement d’un nouvel espace et d’une séquence dans le temps.  Rendre accessible l’intervention pour ceux pour qui des soins immédiats vont faire une différence. Instaurer ce qui va permettre des modalités de relance, de liaison, permettre au personnel médical et clinique nécessaire d’oeuvrer auprès de la clientèle… et/ou congé.


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Publié le 19 août 2014

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3 commentaires à Triage quand tu nous tiens…

  1. Pingback: Le triage en situation d’urgence | La juste cause de la santé mentale

  2. Diane Lacroix
    Le 4 juin 2017 à 12:25
    Répondre

    Bonjour, La copine de mon fils vient de m’informer qu’elle est anorexique-boulimique. Comment puis-je l’aider sans qu’elle se sente envahie?
    Également, je ne sais pas comment aborder le sujet avec mon fils?
    Je crois qu’elle attend présentement pour rouvrir son dossier.
    Merci!

    • Liette Desjardins
      Le 5 juin 2017 à 12:00
      Répondre

      Bonjour à vous

      Est-ce que cela change quelque chose dans votre relation le fait que vous sachiez qu’elle souffre d’une maladie mentale?
      Pour votre fils et pour elle, de vous savoir présente, disponible est un gros plus.
      Quelquefois, pas besoin d’aller plus loin.
      Si lui ou elle s’ouvre sur leurs difficultés, écoutez sans juger, demander comment vous pouvez aider.

      Je vous suggère le site d’ANEB qui donne des informations sur la maladie et pour les proches.
      https://anebquebec.com/services/aider-un-proche

      En souhaitant que ceci vous aide

      Liette