L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Une famille qui refusera l’aide à un patient s’il ne fait pas ce que le docteur dit, une mère qui ne parle pas de sa dépression pour ne pas inquiéter sa famille. Une infirmière qui s’inquiète plus pour une patiente que la patiente elle même, des gestionnaires qui ne se mêlent pas du malaise dans une équipe. Tous capables de justifier leur position, l’intention est bonne.
La famille met-elle une limite ou fait-elle des menaces? La mère qui ne parle pas s’emmure-t-elle en empêchant l’aide naturelle de la supporter, jusqu’à risquer la crise? Est-ce que l’infirmière est dans le contre transfert où « sa » patiente n’est plus un être autonome doté de libre arbitre mais une malade qui ne prends pas de bonnes décisions? Est-ce que le gestionnaire se protège? Est-ce une fuite?
« Celui qui cache son secret est maitre de sa route »
Proverbe arabe
À plusieurs occasions, cet automne, ce type de questionnement est survenu au sein de notre clinique. Nous avons eu à échanger sur nos valeurs et réfléchir sur celles des autres équipes et partenaires que nous côtoyons. Une constance revient dans ses réflexions: la frontière mobile entre le rétablissement du patient et les intentions bienveillantes de ceux qui veulent aider.
La bible du modèle McGill convient que les soins se donnent au patient/famille, qui est une seule entité. Mais qu’arrive-t-il lorsque cette entité est scindée, que le patient méfiant ne veut pas que vous leur parliez, que la famille détient le pouvoir d’accompagner ou non dans les sorties prescrites. On frôle nécessairement la frontière du clivage. Chacun de nos clivages.
« La première partie de notre vie est ruinée par nos parents et la seconde, par nos enfants »
Clarence Darrow
Un clinicien augmente le clivage en invoquant systématiquement la confidentialité pour refuser d’impliquer la famille dans les soins, le patient augmente le clivage en gardant secret des informations importantes pour le rétablissement et ce, avec l’accord de la famille. Le clivage augmente aussi lorsque l’équipe traitante et la famille décident de ce qui est le mieux pour le patient. Virus très prolifique en milieu psychiatrique, le clivage est comme la grippe, il se transmet au contact de nouvelles surfaces. Si l’inconfort perdure et neutralise systématiquement l’homéostasie, à un moment survient la crise… heureusement. Après cette crise, la limite sera repositionnée, la frontière deviendra plus claire pour tous.
Régulièrement j’imagine, l’enfer d’un autre est pavé de mes bonnes intentions. Ceci aussi est une constance. Je trouve toujours intéressant toutefois que, dans l’intention d’aider, une position « évidente » pour l’un puisse sembler une incurie pour l’autre.
Advice to a girl
Sara Teasdale
No one worth possessing can be quite possessed;
Lay that on your heart my young angry dear
This truth, this hard and precious stone.
Lay it on your cheek, let it hide your tear,
Hold it in a crystal when you are alone
and gaze in the depths of the icy stone.
Long, look long and you will be blessed;
No one worth possessing can be quite possessed.
Classé dans abus, besoin d'aide, clivage, infirmières, interventions, observation, parents, poésie, traitement, travail en psychiatrie.
Catégorisé dans Interventions, Maladie mentale, Relation d'aide, Soins infirmiers, Travail en psychiatrie, Événement sentinelle.
Publié le 07 oct 2012
Le 15 oct 2012 à 17:28
Très bon sujet, merci Liette, tu me fais du bien, je reconnais beaucoup le quotidien de mes patients-familles, des gestionnaires, et de moi même, je crois que je fais du contre transfère 1x jours minimum hahaha.
Lâche pas,
Julie Fortier inf. clinicienne en santé mentale
Bienvenue dans le club, j’ai moi aussi mes moments de contre transfert. Je trouve que l’équipe aide dans ce cas car cela nous permet de valider nos impressions et de partager nos difficultés. De plus, si on arrive au point où on peut travailler sur notre contre-transfert en reflétant au patient ce que la situation nous fait vivre, on entre dans un échange qui est productif pour lui et pour nous. Cela devient de la haute voltige!