Quand j’ai commencé au Crossroads, il y a un peu plus d’un an, un cadre dans la salle de bain de la maison m’a intriguée. Signé Chagall et trônant juste au dessus de la toilette, je me suis demandé d’où venait ce tableau. Malgré la qualité de l’encadrement, des traces de moisissures probables sur le papier et le caractère ondulé de la feuille prouvaient que le temps et l’humidité étaient à l’œuvre.
J’ai demandé aux cliniciennes qui travaillaient depuis plusieurs années dans ce service si elles connaissaient l’origine ou l’histoire de ce cadre. Aucune d’elle ne put me donner d’informations. Elles pensaient que lors des rénovations et du rafraichissement de la peinture dans toute la maison il y a quelques années, les tableaux décrochés avaient été redistribués dans les pièces selon les agencements de couleurs.
D’où venait ce dessin? Un an après le début de ma pratique à l’hôpital de jour, j’ai décidé d’en avoir le cœur net. Avec la permission de mes collègues, j’ai emmené le cadre chez moi et je l’ai défait. Je me disais que s’il s’agissait d’une affiche commerciale, cela finirait mon questionnement. En enlevant le cadre, j’ai découvert qu’il n’y avait pas de « Made in Taïwan » à l’arrière de l’œuvre. Il s’agissait d’un cadre de qualité et c’était bien de la moisissure qui ornait le pourtour du dessin. De plus, le papier était collé au carton, base à l’encadrement.
Avait-il une valeur? J’ai été à la Galerie Michel Ange sur Bonsecours, dans le vieux Montréal. J’avais lu sur leur site Internet que moyennant un petit montant d’argent, je pouvais avoir l’opinion « de visu » d’un expert. La dame présente a été très gentille et a pris le temps, malgré la préparation d’une prochaine grande exposition, de faire quelques démarches. Elle a regardé le dessin avec une loupe oculaire, du genre que les horlogers utilisent. Elle m’a dit qu’il s’agissait d’un vrai dessin, non d’une reproduction, que la personne l’ayant fait avait de toute façon beaucoup de talent. Elle a ensuite consulté un grand livre pour valider la signature. Durant ce temps, une des personnes de la galerie regardait sur Internet. Comme la signature était discutable, on m’a suggéré de prendre une photo du dessin et d’envoyer un courriel au Musée Chagall de Nice. Peut être qu’eux pourrait m’en dire un peu plus sur le sujet du dessin. On a aussi souligné l’importance de bien conserver le dessin, peu importe la suite. Le choix d’un papier sans acide ainsi que le retrait d’un espace aussi humide qu’une salle de bain a été souligné. Je suis donc repartie avec certaines pistes et l’invitation de la Galerie Michel Ange de leur laisser savoir la suite des événements.
Qui pouvait m’en dire plus ? J’ai écris aux gens de Nice qui n’ont pas répondu. En parlant avec une amie et collègue, Martine, dont la sœur travaille pour le Musée des beaux Arts de Montréal, d’autres pistes sont arrivés dont la visite à une galerie dont le personnel était pas mal moins recevant. Martine, en s’intéressant de son coté à cette histoire, a permis d’élucider un des mystères soit la source d’inspiration de ce tableau à la manière de Chagall.
Le site internet du musée Wuyt en Hollande nous a donné le titre de l’œuvre. Il s’agit d’une des 120 lithographies produites dans la série « Sur la terre de Dieux », produite par Chagall en 1967*. Celui-ci, en s’inspirant d’une série de poèmes d’écrivains antiques grecs, interpréta les mots selon sa symbolique. Il s’agit pour cet illustration en particulier d’un poème de Sappho. Une vente chez Christie’s d’une de ces lithographies a d’ailleurs eu lieu en octobre dernier à New York.
Quoi d’autre? J’ai écris au musée néerlandais pour leur parler de l’histoire du dessin dans la salle de bain et ils m’ont confirmé qu’il ne s’agit pas d’un original. Ils ont été gentils et envoient leurs salutations.
Voilà donc l’histoire de cette enquête autour d’un objet quotidien. J’aime à penser qu’un patient, particulièrement doué, s’est inspiré de Chagall pour produire une oeuvre et que celle-ci continuera d’agrémenter l’univers des personnes fréquentant le Crossroads.
Le Douglas fait la promotion de l’art dans ses murs, ses interventions et ses terrains. Des travaux comme ceux de Ellen Corin tentent de créer des ponts entre expression artistique et mieux être mental. Dans des institutions centenaires comme la nôtre, on trouve parfois, au détour d’un couloir ou d’une salle de bain, des richesses pour les yeux. Des démarches sont parfois nécessaires pour recadrer ce beau, de temps en temps.
« Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir ». Marc Chagall
*Si la série dont ce dessin fait partie vous intéresse, allez à l’icône Wuyt collection du www.chagall.nl, ciblez ensuite Séries favorites, et choisissez la 5e, soit « Sur la terre des Dieux ». Les 12 oeuvres de cette série y sont représentés dont Sappho 1, 2ième rangée à droite.
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Publié le 02 avr 2011