Comment faire pour retourner chez-soi

Les gens ont une idée assez floue de ce qu’est un hôpital de jour en psychiatrie.   Des patients, un peu anonymes, pas en crise mais pas normaux non plus.   Des gens capables de suivre les conseils d’un groupe d’intervenants bien intentionnés, comme un troupeau ou une classe modèle.

C’est évidemment plus complexe que cela.   Le système de la santé fonctionne encore beaucoup en silo et un hôpital de jour est un lieu particulier où plusieurs de ces silos se rencontrent:

  • L’équipe référant cible un séjour permettant la gestion de symptômes particuliers pour un patient particulier.
  • Le groupe thérapeutique, peu importe sa composition, recherche toujours  l’équilibre, l’homéostasie.
  • L’équipe d’intervenants cherche à composer avec les expériences de chacun des membres du groupe pour forger un espace plus sain.   Les situations quotidiennes, le genre de communication des membres, la clarification de situation dans le ici et le maintenant sont des outils d’interventions.
  • Parallèlement, les partenaires du Crossroads cherchent, au moment opportun, à maximiser le potentiel de chacun tout en devant respecter des disponibilités, des listes d’attente, des urgences, la précarité.

Et à chaque fois, un déclic se fait.    Peu à peu, la personne engagée dans sa démarche améliorera sa condition.  Elle reprendra le travail, les études, elle retournera peu à peu dans une vie plus près de ses valeurs.

Une famille reconstituée

La maison

Un des premiers joueurs est cette maison en briques, avec un rez-de-chaussée et un sous-sol.     Il y a une cuisine et un garde manger où on fouille, selon le besoin.   Une salle de bain qu’on partage, un ordi au sous-sol.   Du lundi au vendredi de jour circulent jusqu’à 16 membres, adultes de toute nationalité, horizons sociaux et culturels.  Quatre intervenantes et une collaboratrice organisationnelle y travaillent avec la visite satellite d’un psychiatre et d’une nutritionniste.   La maison sent le café le matin et la fébrilité lorsque arrive la fin de semaine.

Des défis hebdomadaires.

À la maison, il y a des arrivées et des départs à chaque semaine de un ou plusieurs membres.   Le programme est de huit semaines.   Pour le nouveau joueur, on doit faire face à plus d’une dizaine de personne, alors qu’on est l’ombre de soi-même ou pas tout a fait là  et qu’on a souvent peur « des fous ».   Tranquillement, ce groupe devient des miroirs où l’on se voit ou des rappels de ce que l’on aime moins en nous ou dans notre entourage.

  • Au début, pour plusieurs, manger, nettoyer le plancher de sa chambre, arriver à l’heure, se laver représentent une montagne à gravir   D’autres réalités plus pressantes viennent aussi compliquées ces objectifs comme les changements de médicaments, la clarification des papiers en lien avec un congé de maladie, l’organisation de son système familial avec ce nouvel horaire.
  • Ensuite, prioriser les changements à effectuer  dans l’acquisition de nouvelles façons de faire (relaxation, socialisation, changement de pensée) et|ou dans la mise en place de scénarios de sécurité (clarification des besoins et limites avec l’entourage, organisation d’un mode de vie dans le respect de ses valeurs et de son potentiel)
  • Les objectifs à la fin s’organisent souvent autour de l’après Crossroads.   Et en périphérie, quitter le groupe.

Le groupe de Cuisine est un autre exemple de complexité anodine.   L’apprentissage n’est pas la recette ou faire de la nourriture.   Le réel travail thérapeutique est, pour certains, le fait de travailler en équipe, pour d’autres, fournir la concentration nécessaire, ou encore, accepter que l’autre travaille différemment.   Devant une tâche, sommes-nous assis confortablement, sommes-nous constant, dans le temps présent? Parfois le rythme, parfois l’entrain.

Les activités de psycho-éducation, de psychothérapie, d’expressions sont continuellement des occasions de partage et d’intériorisation pour les membres.  Je suis souvent touchée et surprise du naturel avec lequel ceci prend place.  Quelqu’un parle de l’abus dont il a été victime durant l’enfance et l’autre partage spontanément sur ses années de victimisation à lui, à elle.   Ce deuxième témoignage est souvent fait pour mieux redonner la parole à celui qui parlait.   Et ceux qui sont témoins apprennent aussi.    Peu à peu, on rend normal ou vivable ce qui, quelques semaines auparavant, ne l’était pas.

Le 8e joueur, le groupe

Comme au hockey, un joueur qui n’est pas sur la glace mais qui peut influencer l’issue du match est le groupe lui même, au delà des membres qui le composent.   Comme je le disais au début, le groupe va toujours rechercher l’homéostasie si bien que pour la personne agitée, le groupe va le lui faire remarquer.  Le groupe, via un de ses membres, va questionner le sens de ce que la personne psychotique dit et va partager sa difficulté à communiquer avec lui.   La personne qui bouscule le groupe va souvent s’excuser, consciente de son effet sans que les mots n’aient été utilisés.    Le groupe oblige l’intériorisation parce qu’on est devant du vrai monde qui eux aussi, sont souffrant par moment.

Rêve de Ruth, 2e semaine au Crossroads

J’étais dans une pièce de ma maison qui était séparée en deux parties.   Il faisait sombre.   Je me suis dirigée vers mon frigidaire et quand je l’ai ouvert, la lumière qui en provenait a rempli la pièce.  Cela m’a fait du bien.    L’intérieur de mon frigidaire était vert et je réalise maintenant que c’était la même couleur que les murs de la salle à dîner au Crossroads.     Je me suis ensuite retournée sur moi-même pour aller vers l’autre partie de ma maison, ma vraie maison, et je ne pouvais pas traverser cet espace parce qu’une fête foraine occupait tout le chemin vers cette maison.  Imaginez, comme si tout le Cirque du soleil, avec ses échassiers et ses jongleurs, se retrouvaient sur 600 pieds carrés.
Et je me suis demandée comment j’allais faire pour retourner chez moi.

 

Cirque Calder

 


Classé dans , , , , , , , , , .

Catégorisé dans Interventions, Maladie mentale, Santé mentale, Soutien, Travail en psychiatrie, Vie quotidienne.

Publié le 01 déc 2010

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

13

2 commentaires à Comment faire pour retourner chez-soi

  1. Gérard Lebel
    Le 13 déc 2010 à 13:35
    Répondre

    Encore une fois Liette tu nous amène à réfléchir et apprécier notre apport en tant que thérapeute/intervenant. De se retrouver dans une mini société et d’apprendre ou de réapprendre à vivre avec les différences et difficultés de celles-ci est une aide précieuse pour la personne souffrante. Bravo pour ce travail que vous faites à l’hôpital de jour!

  2. Anick Laverdure
    Le 15 déc 2010 à 15:03
    Répondre

    Merci encore une fois de rendre accessible un quotidien qui m’est inconnu.
    Avec une référence au hockey en plus! =)