Je commence dans ce billet, le premier de ce que j’espère être une série de portraits de gens qui ont soufferts de maladie mentale. Pour ces entrevues, 2 billets seront créés simultanément : la prise 1 parle d’une oeuvre créée en lien avec une maladie mentale et de l’expérience vécue par la personne. La prise 2 donne accès au portrait de l’artiste, du clinicien ou du créateur et de ses réflexions par rapport à sa créativité. Le gabarit pour les entrevues est le même, une adaptation d’un questionnaire pour un artiste de Gus23 et des réponses recadrées dans une vision de rétablissement, auquels moi et l’équipe du Crossroads adhèrons. Parler à visage découvert de la maladie et la santé mentale, y donner un sens.
« Le silence de ceux d’entre nous qui se rétablissent complètement renforce les préjugés existants. » Frese
Valérie est une jeune femme de 20 ans qui a souffert de dépression. « Sous la pluie », que vous voyez plus bas dans ce billet, est une oeuvre née de cette épisode. Ce tableau est maintenant dans mon bureau. Je le regarde tous les jours tout comme des membres du Crossroads, les patients, les cliniciens. Elle suscite des commentaires, elle touche. L’oeuvre fait son travail, elle s’expose et crée une réaction.
Valérie a accepté de répondre à mes questions et de parler librement de sa maladie et de cette oeuvre.
1- Se bâtir une vie significative: Comprendre et accepter sa maladie – Prendre sa vie en main – S’impliquer dans sa communauté.
« Pour moi, la maladie mentale est comme une autre maladie, un rhume, quelque chose qui affecte ta vie, qui se guérit avec les bons moyens. À 19 ans, j’étais au CEGEP en Dessin animé. Comme j’avais peu de technique, j’ai dû prendre énormément de cours et pour produire au rythme et à la qualité attendus, il aurait fallu que je travaille 45h sur une oeuvre auquel je pouvais en consacrer 15. Je me suis rendue ensuite à un point où je n’avais plus le goût de rien, plus le goût à la vie, je n’étais même pas là. Un corps qui avancait sans âme. Je n’avais plus de contrôle de mes émotions. Ou j’étais au neutre, ou dans la peine, ou frustrée. C’était intense. Plusieurs choses se passaient: un gros travail scolaire avec une équipe de travail qui ne fonctionnait pas, mon chum et moi commencions à vivre ensemble, on avait 2 chiens. Mon chum avait aussi des histoires de son coté et je n’étais plus capable. Je n’ai pas été chercher de l’aide ou tenter de comprendre ce qui m’arrivait. N’importe quel effort était trop lourd. En plus, je n’acceptais pas ce problème. Dans ma tête, on en avait assez, et je voulais être là pour mon chum. Mais des gens autour de moi m’ont aidé. Mon père, beaucoup, il m’a aidé à prioriser la rencontre avec un médecin. Aussi, notre chienne, Luna, demandait beaucoup. Elle n’était pas une chienne d’appartement. Mon chum m’a aidé en prenant la décision de trouver un autre foyer pour elle. Je n’étais plus capable de dessiner alors j’ai commencé un medium différent, la peinture. C’est à ce moment là que j’ai produit « Sous la pluie ». « Little talks » du groupe Of Monsters and men m’a aussi aidé. Cela jouait presque en boucle durant cette période et je me souviens du bateau du vidéoclip et de la phrase « Listen to the words I say ». Et un jour, j’ai su que j’allais mieux quand j’ai commencé à faire de l’anxiété (éclats de rire). Même si je vivais un autre problème, je savais que je n’étais plus dans cette période ou plus rien ne me touchait, ni le plaisir, ni la colère. »
2- Retrouver une identité positive: Faire une place à la maladie – Retrouver un sentiment fondamental positif.
« Cette période de ma vie parle d’un passage nécessaire. Cela a augmenté mon appréciation du bonheur, mon goût de vivre. Je sais aussi que, maintenant, il faut que j’apprenne à gérer mon stress. J’ai toujours été quelqu’un de stressé, même très jeune. Je suis du genre à m’inquiéter. Aujourd’hui, j’aime encore plus mon copain. Je lui en voulais souvent à l’époque alors que maintenant, je sais qu’il m’a beaucoup aidé et je suis plus gentille avec lui. Je pense que la maladie à un rôle dans notre société, rien n’arrive pour rien même si on ne comprends pas sur le moment. Notre société nous contraint à certaines normes et peut être que de travailler 5 jours par semaine avec un horaire et de la pression, ce n’est pas fait pour tout le monde. La réflexion la plus bizarre que j’ai eu est quelqu’un qui m’a demandé pourquoi j’allais voir un docteur alors que c’était évident que cela ne fonctionnait pas bien. D’un autre coté, le lendemain, cette personne m’a dit que c’était une bonne idée… »
3- Être responsable et prendre le contrôle.
« Je n’avais pas vraiment trouvé de titre à cette toile, cela m’est venu à un moment donné, naturellement. Contrairement aux autres travaux que je fais, j’ai travaillé longtemps, avec plusieurs couches. Le médium, l’encre acrylique, demande plusieurs couches avant de devenir opaque. J’ai eu l’idée du sujet vers la fin de ma dépression, j’avais le moton en dedans et je voulais une illustration qui soit lourde. Cela représente des conflits, des émotions et le parapluie sert à se protéger, pour ne plus être affecté. Lorsqu’elle a été fini, je savais que je ne pouvais pas garder la toile chez moi. Cela a aidé à tourner la page. Durant tout l’épisode de ma dépression, je n’ai pas pris de médicament. J’ai de la misère avec cela. Peut être que si cela avait empiré, que j’aurais voulu mourir… mais je suis trop peureuse de la mort pour faire quelque chose. Cela me demandait plus de courage de mourir que de vivre. Et je n’ai jamais eu peur de finir ma vie au Douglas ou dans un asile. Je voit encore cet épisode comme un passage dans ma vie et le Douglas comme un endroit qui offre de l’aide à ceux qui en ont besoin.
4- Trouver et préserver l’espoir: Croire en soi – Avoir le sentiment d’être capable – Être optimiste face à l’avenir.
« J’ai su que ma dépression était fini quand j’ai pu reprendre mon autonomie. J’ai appris. J’ai aussi découvert que pour ma santé mentale, il faut que je mange régulièrement, que je dorme bien. Mon conseil pour un futur malade ? Fais ce que je dis, pas ce que je fais et va voir un docteur (éclat de rire). Même si ce n’est pas encore clair pour toi comment il peut aider. Il faut avoir de l’aide. »
Merci Valérie. Je suis convaincu que l’art est une façon de guérir, de se rétablir. Je veux faire des billets sur mon blogue où des créateurs, des artistes, des cliniciens qui ont souffert de maladie mentale puissent partager sur leurs expériences. Répondre aussi à ma curiosité sur l’intention de ces personnes douées pour toucher autrui. Donner une voix à ceux qui peuvent parler, un lieu pour s’exprimer. Soigner entre les lignes.
Classé dans besoin d'aide, dépression, interventions, observation, parents, traitement.
Catégorisé dans Art brut, Créativité, Maladie mentale, Portrait, Santé mentale, Soutien, Vie quotidienne.
Publié le 03 fév 2013
Le 4 fév 2013 à 20:56
Merci pour ce beau billet inspirant. Et merci à Valérie d’avoir partagé son expérience de rétablissement.
Le 5 fév 2013 à 12:10
J’espère que de plus en plus de personnes acceptent de parler simplement de maladie mentale, surtout de la leur. Je crois que des joueurs de hockey, des chefs d’entreprises, des députées peuvent beaucoup pour contrer la stigmatisation en parlant simplement de ce genre de difficultés. Merci Valérie de montrer l’exemple.
Le 8 fév 2013 à 17:50
merci pour ce soutien
Le 12 fév 2013 à 12:43
personne n’est a l’abri. Félicitation tu as fais un bon choix.
lâche pas Valérie. Dieu et les anges sont avec toi
Le 19 fév 2013 à 03:59
Merci à vous
Le 12 fév 2013 à 19:17
J’organise à la faculté de Médecine de l’Université de Montréal un souper-causerie sur l’expérience personnelle de deux étudiantes et d’un médecin avec la santé mentale. J’ai moi-même vécu une dépression et des troubles anxieux et je pense qu’il est important que les gens entendent parler de rémission.
Le 17 fév 2013 à 18:02
Merci pour ce beau témoignage touchant et authentique
Le 19 fév 2013 à 03:57
Merci beaucoup Virgina!
Le 7 mar 2013 à 17:48
Très beau témoignage. Comme d’autre l’on déjà dit, il ne faut pas cesser de parler de la maladie mentale et c’est des témoignages comme celui-ci qui aident les gens à se sentir moins seul et à garder espoir dans cette situation trop souvent mal comprise par la personne qui le vie et les gens qui l’entourent.
Le 7 mar 2013 à 19:24
Merci. Je suis justement en préparation pour les entrevues avec 3 autres personnes qui acceptent de parler simplement de leurs expériences. Le même espoir les anime: aider ceux que la maladie mentale affecte, les individus comme leur entourage. Liette
Le 2 oct 2013 à 09:52
J’écris, pour me libérer et libérer les autres (espoir?).
Voici 2 de mes textes (peut-être feront-ils écho…).
Texte 1 :
DUALE
Je suis la glace et le feu. La sagesse et le jeu.
Je suis l’allégresse et l’effroi. Je suis moi mais aussi toi.
Je suis le calme et la tempête. Un drame devient fête.
Ligne droite et sinusoïdale. Areligieuse vestale.
Je suis la joie et la peine. Je suis roi et je suis reine.
Le noir et le blanc réunis. Je suis la mort, je suis la vie.
Je grogne et je ronronne. Mi-chatte et mi-lionne.
Fière comme un gitan. Je suis pudique et putain.
Je murmure et j’ai le verbe haut. Je suis le vrai avec le faux.
Autant paillettes que peau nue. Je suis la cécité et la vue.
De l’amour à la haine. Un sourire efface mes peines.
Yin et Yang réunis. Masculine au masque féminin, je suis.
Angevine et démoniaque. Chaotique et maniaque.
La parfaite imperfection?
Texte 2 :
Les Tentatives de Suicide… Tentatives de Séduction !
La dernière tentative de suicide de Céline, c’était pour Saturnin. Elle avait avalé tant de lithium qu’il fallu procéder à une hémodialyse afin de nettoyer au mieux ses reins. Dans ces moments là, du haut de leur incapacité à comprendre les peines de l’âme, les médecins et infirmiers vous font comprendre à quel point ils vous haïssent de les avoir fait se déplacer à 4h du matin. Une personne qui tente de se supprimer est faible et lâche, il est nécessaire de lui faire suivre une fulgurante thérapie de mutilations diverses pour lui ouvrir les yeux sur la beauté de la vie.
Ainsi, les charmants maîtres à soigner n’ont pas trouvé mieux cette nuit là que de planter un cathéter directement dans l’artère fémorale de Céline sans anesthésie aucune… La douleur fut telle qu’elle fit un malaise, mais, cela ne portait pas à conséquence (pensèrent ses bienveillants geôliers), elle était déjà en position horizontale !
Non seulement on ne vous laisse pas crever tranquille mais en plus on joue aux fléchettes entre vos deux jambes…
Lors de sa première tentative, elle avait avalé des gélules d’un traitement appartenant à Kenzo pour des soucis cardiaques. Le lavage d’estomac s’est imposé non comme un soin mais comme une barbarie « nécessaire » dans ce genre de situation. La jeune femme avait entendu au milieu de ses hurlements de canard gavé par un énorme tuyau qui semblait vouloir atteindre son anus : « Il faut que tu le sentes bien passer celui-là ! Ça te calmera l’envie de recommencer ! ».
« Heu, m’sieurs dames, si j’ai atterri dans vos bras, c’est peut-être parce que je suis désespérée… ça vous dirait pas d’être un tant soit peu plus compréhensifs ? Sinon, pourquoi vous embêtez-vous à me sauver la vie à cette heure précoce de la matinée ? L’idéal serait alors de me laisser définitivement dans mon puis sans fin… Non ? » pensa Céline au milieu de ce cauchemar. Puis, quelques heures après l’asseau des traîtres guérisseurs : « Après mûre réflexion, je suis persuadée que ces braves gens pensent inciter les suicidaires à ne pas recommencer… mais qu’au bout du compte, ils les poussent à ne pas se louper la fois suivante !! ».
Haaaa! Les délices des urgences et autres services psychiatriques ! Que du bonheur…
Le pire avec ça, c’est qu’elle eu le droit de repartir les bras ballants, les poches remplies d’autant de comprimés que celles-ci pouvaient en contenir et la tête pleine de promesses médicales : « Vous allez voir, ce que je vous ai prescrit est RE-VO-LU-TION-NAI-RE ! Avec ce traitement, vous n’avez certes pas le droit de conduire, vous ne mémoriserez plus rien, vous allez dormir pas mal… mais vous allez vous sentir comme une femme neuve ! ».
Et si on faisait tester à tous ces pseudo-gourous les substances qu’ils nous font avaler ? Hein ? Peut-être que les lits des hôpitaux finiraient par être remplis de médecins…
Le 2 oct 2013 à 14:09
J’aime votre humour grinçant. Vos textes sont une bonen façon de débuter le dialogue sur la stigmatisation et sur le besoin d’empathie dans la relaiton d’aide, même en urgence. Liette