Jeudi dernier je suis allée à l’espace Mexico, 2055, rue Peel, voir l’exposition organisée par le Consulat du Mexique à Montréal. La stratégie de l’exposition était d’apparier un artiste d’origine mexicaine à un artiste Québécois et de les faire dialoguer par le biais de leur art.Concept très intéressant et résultats à mon avis, plus intéressants encore.
Curieuse, j’ai demandé à certains artistes comment avait été formulée la demande et comment ils avaient procédé. Comme j’avais le résultat devant les yeux, je voulais en savoir plus sur le processus ; ce sont là des questions qui intéressent les art-thérapeutes que voulez vous! J’ai donc appris que chacun des artistes d’origine mexicaine choisissait l’artiste québécois avec lequel ou laquelle il voulait « dialoguer visuellement ».Le « comment » du dialogue me paraissait moins clair ; est-ce que toutes les oeuvres québécoises exposées existaient au préalable ? Non, m’a-t-on répondu, mais je ne savais pas si c’était le cas de toutes les œuvres ou seulement de celles de Dasil qui a été le premier à m’expliquer sa démarche.
A partir des photos de l’artiste François-Régis Fournier qui représentaient de grands espaces vides des couloirs du métro, Dasil a créé une scène montréalaise à l’intérieur d’une forme représentant une guitare, telle un trou de serrure, qui faisait référence aux musiciens du métro. En réponse à cette image, F.-R. Fournier a créé une photo d’une forme concave qu’il a reproduite en miroir, créant ainsi deux demi-cercles qui donnait l’impression d’un encadrement de la peinture de Dasil.Tout a côté, un personnage de style troubadour incorporait savamment certains édifices et éléments architecturaux montréalais (stade olympique en guise de chapeau, par exemple). N’ayant malheureusement pas apporté mon appareil photo ce soir-là, je n’ai pas d’images à vous montrer.
Mme Elsa Gallegos qui peint des fleurs surdimensionnées a choisi la peintre Louise Grenier comme partenaire de dialogue. Mme Gallegos m’a expliqué qu’elle voulait illustrer le contraste entre la chaleur (fleur rouge) et le froid (fleur blanche). Mme Grenier a répondu par des paysages de migration, une scène de forêt dans des tons de bronze et un tableau blanc texturé qui évoquait une tempête de neige.Je ne m’attarderai pas sur la grande compétence des artistes et la qualité esthétique de toutes les oeuvres exposées. Mon attention se porte plutôt sur l’élément dialogue et comment cette « communication » s’est faite.
Je n’ai pu parler aux trois autres couples de participants: Simon Wyland et Alejandro Maya (vidéo installation) ; France Guérin et Carolina Hernandez-Hernandez (peintures sur un thème d’environnement avec ours polaire); et Marie-Josée Laframboise et Jorge Aguilar (sculpture). Je serais donc mal placée pour commenter leurs oeuvres.
L’art parle aux sens et aux émotions. L’interprétation que l’on en fait est très personnelle, mais peut souvent trouver un écho chez d’autres; elle peut aussi diverger significativement de l’intention première d’un artiste. En art-thérapie, ce que l’artiste/patient nous dit reste central mais ne viendra pas complètement éclipser ce qui est ressenti et perçu par le thérapeute. En fait les deux s’informent et donnent des pistes d’exploration en thérapie.
Mais revenons à cette exposition. Avoir parlé à certains artistes m’a tout de même éclairée sur certains points, sans toutefois dissiper mon impression première. J’ai ressenti qu’il y avait une ouverture à l’autre, un accueil et un accommodement de la réalité québécoise par ces artistes dans les thèmes choisies, les couleurs, les symboles. Du côté des artistes québécois j’étais surprise de voir de grands espaces vides au niveau pictural, et ces couleurs froides qui me donnaient une impression de solitude et de repli. En peinture l’exception est possiblement le dialogue entre Mmes Guérin et Hernandez-Hernandez sur le thème de l’environnement où Grand Nord et ours polaire se côtoyaient.
Ce qui m’amène à vouloir poser les questions suivantes qui, je l’avoue, sont basées sur des généralisations et des projections de mes propres impressions.J’aimerais demander comment est vécue cette rencontre québécoise qui, à prime abord, semble si sympathique et ouverte, mais qui protège jalousement sa culture et sa vie privée ?La nature québécoise est accommodante dans la mesure où elle a peu à modifier. Les tableaux de certains artistes semblaient faire écho à cet accommodement d’espace (c’est ce que nous avons le plus ici au Québec) sans pour autant emprunter les « couleurs » de l’autre ou y faire écho.Vous vous souvenez du débat animé sur les accommodements raisonnables ?
Nous acceptons les couleurs des autres mais il ne faut pas qu’elles déteignent trop ! Est ce culturel? Nous croyons aux couleurs distinctes, aux territoires protégés, aux espaces bien définis. Serait il possible que ce soit cette dimension particulière que j’ai ressenti ? Une dimension plus socio-politique et culturelle? L’artiste québécois issu d’un passé sous l’emprise de l’église catholique d’une part et des britanniques de l’autre, protègerait-il ses couleurs lorsqu’il est placé en position d’échanger avec un autre venu d’ailleurs?
Mon intérêt pour l’identité m’a souvent amené à interroger le vécu des immigrants, à explorer la réalité du multilinguisme avec mes homologues et collègues (lire l’excellent livre: Lives in Translation: bilingual writers on identity and creativity), à scruter ma propre psyché, très très bilingue et à étudier la réalité du métissage et l’impact de la migration chez les familles et enfants que nous recevons dans nos services.
Au Québec, notre approche au multiculturalisme ou plutôt à l’interculturalisme s’établie de façon particulière. Tout récemment j’écoutais le romancier et essayiste de renommée internationale John Ralston Saul parler des fondements canadiens de notre philosophie interculturelle. Il expliquait que les valeurs aborigènes sont à la base de notre façon d’être ensemble, qui consiste en un équilibre entre individualisme et groupe, qui nous fait pencher vers le dialogue et la négociation plutôt que vers la conquête et l’assimilation. Ici ce n’est pas un ‘melting pot’ mais un modèle d’intégration qui en principe respecterait les différences. Mais ne serions-nous pas un peu indifférents tant que nous ne sommes pas dérangés dans nos habitudes ?
Les arts offrent de riches avenues de dialogue pour illustrer et élucider certaines thématiques sociales et établir des liens autrement; mais encore faut-il trouver les personnes capables d’établir les bases du dialogue et ne pas avoir peur de poser les bonnes questions.La galerie d’art à besoin d’être repensé pour y inclure des forums d’échange d’idées plus publiques afin de bonifier ce que l’art amorce en beauté. J’aurais tant aimé en savoir plus, pouvoir recueillir les impressions des uns et des autres, opposer les images aux explications et aux impressions des uns à celles des autres. Il existe maintenant de nouvelles avenues de formation et d’exploration en art qui associent arts et justice sociale ou encore arts et démocratie culturelle ; ce sont des volets plus sociologiques de la thérapie par les arts, une art-thérapie sociale.
Vous pouvez écouter en version podcast, la conference de John Raulston Saul intitulée: Aboriginals and new Canadians: the missing conversation dans l’excellente série Ideas de CBC.
Classé dans art, art et justice sociale, art-thérapie sociale, Arts, dialogue, expositions, identité, processus artistique, thérapie sociale, tolérance.
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Publié le 29 juil 2009