Dessiner ensemble (technique)

En préparation à la rencontre de jeudi soir dernier une collègue m’avait suggéré de préparer quelques vignettes cliniques. J’ai trouvé l’idée excellente mais je n’ai pu élaborer autant qu’il aurait été nécessaire. Je vous présente donc, une approche relativement simple que j’utilise avec les familles et les dyades et qui est source de riches observations et interventions possibles.

Avec des parents et des enfants (dyade), je leur demande de partager un espace commun, soit une feuille de papier assez grande pour les deux. Je reproduis ainsi un espace où il y une tâche commune et donc des interactions organisées entre les deux.  Les instructions sont limitées à  dessiner quelque chose ensemble. Lorsque je reproduis cet exercice avec une famille (murale), je limite les couleurs des feutres à un chacun, couleur qu’ils devront garder tout au long du dessin. Comme ça je vois qui fait quoi; les traces laissées me donnent des indices sur la dynamique familiale qui par la suite peuvent être réflétées ou explorées (car visibles) avec les membres de la famille lors du retour sur l’activité.

C’est durant le processus de création que nous pouvons faire des observations in situ telles que: la compétition entre frères qui oblitèrent la partie de l’autre; le parent qui néglige de faire équipe; les alliances diverses et si elles changent au cour du travail; le parent qui n’entend ni ne voit les demandes actuelles ou symboliques de son enfant ou de son conjoint; le soutien ou la dénigration entre divers membres qui passent souvent par les commentaires à propos des ajouts de l’autre; les thèmes de violence, d’agressivité (les requins, oiseaux prédateurs, les objets coupants qui apparaissent où, et par qui) et qui est ciblé par cette agressivité; le manque de cohérence et la désorganisation des éléments; les rôles de certain membres (un grand-parent qui dessine le paysage qui contient les éléments disparates des autres membres ‘flottants’ dans le système familial) par exemples.

En dyade, je vois le manque de séparation (un corps unique dessiné par les deux ou la superposition des personnages sans raison narrative (ne partagent pas d’activité) ; le désir de séparation, (les lignes territoriales qui divisent l’espace pictural); la transgression des frontières établies par l’un ou l’autre (comportements intrusifs),  etc.   Ce ne sont que quelques exemples qui seront interprétées à la lueur de l’histoire de chacun et de ce qui se dit lors du retour.

Il n’y a pas de livre de recettes formel ; de là l’importance de ne pas prendre ce type d’intervention artistique à la légère. Il ne faut pas s’improviser psychothérapeute par l’art si on n’est pas professionnellement qualifié.

Ce que j’observe en premier c’est le processus de décision, qui décide, qui suit, qui hésite ou s’abstient, qui a besoin d’avoir la permission d’un autre membre; s’il y a un thème, pas de thème, si le thème de l’initiateur est respecté par les autres ou ignoré ou encore transformé ou saboté; qui fait quoi sur la feuille, et comment les dynamiques interpersonnelles s’organisent autour de la tâche, etc. Puis lorsque terminée, la création est affichée au mur (si elle a été créée à plat)  et je demande à chacun de me parler de leur dessin, de le décrire, de parler de leur expérience lors de la fabrication, etc.

C’est à ce moment que j’aurai par exemple un papa référé pour violence et son fils de 11 ans me dessiner conjointement une scène choisie par le fils: un building en feu voit un personnage au 2e étage crier à l’aide (dessin du fils). Papa dessine en réponse un camion de pompier et dirige son boyau d’arrosage sur les flammes.  Lors de la description du dessin, le papa est convaincu d’avoir fait la bonne chose (éteindre le feu).  C’est a ce moment que j’attire son attention dans le haut du dessin, en lui demandant ce qu’il voit. En lisant le message du jeune garçon à la fenêtre, il me regarde visiblement troublé; j’ai pu à ce moment lui demander si ce n’était pas similaire à ce qui se passait à la maison, que malgré son attention aux besoins matériels (sauver la batisse) il ne voyait pas la détresse de son fils (ses besoins affectifs).

C’était visiblement une des premières fois que ce père reconnaissait cette réalité et que sa conception de bon père pouvoyeur matériel (ce qu’il était) était confronté au fait que son fils avait des besoins qu’il ne voyait tout simplement pas. Ce jeune garçon a beaucoup changé par la suite (art thérapie 1 x semaine), ses productions artistiques qui ne survivaient pas durant les premiers mois(déchirées, barbouillées, couvertent de peinture noire), se sont transformées en couleurs plus claires, les thèmes de décapitage, d’humiliation et de fusillades sont devenus des thèmes qui parlaient de vie (et non de mort) et le papa a du conclure à la fin de nos rencontres que son fils avait fait beaucoup de chemin tout en reconnaissant qu’il n’en avait pas fait autant (il avait tout au long résisté aux devoirs qui visaient l’amélioration de ses capacités parentales).

Voilà le potentiel d’une seule technique d’art thérapie utilisée en dyade ou encore comme intervention familiale.  En tant qu’évaluation vous pouvez répéter l’exercice à intervales afin d’observer s’il y a des modifications visibles dans la dynamique familiale.


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Catégorisé dans Thérapie.

Publié le 17 mar 2009

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Un commentaire à Dessiner ensemble (technique)

  1. thomas
    Le 22 août 2018 à 19:41
    Répondre

    Allo Francine, es-tu toujours au Douglas? Je présente sur le mutisme sélectif bientôt. Je voulais avoir de tes nouvelles. Es-tu toujours ma voisine? À bientôt peut-être. Thomas Shortliffe