Ciné réflexions

Durant une soirée de ce genre on a peu de temps pour élaborer sur le sujet et je suis de celles qui après réflexion auraient aimé dire plus, dire autrement somme toute élaborer sur les sujets qui ont été amené à notre attention durant la période de discussion.Ce blogue me donnera l’occasion d’y pallier. Alors voilà!

Ann Warren (artiste, patiente) nous confie qu’elle a le désir de ‘tuer le dragon en elle’depuis un très jeune âge, âge qui correspond à peu près à l’époque des traumatismes liés aux abus. Tout son parcours de patiente n’est pas décrit sauf celui de la médication, des électrochocs reçus (bénéfiques), les nombreuses hospitalisations en plus de nommer que ses traits artistiques existent depuis sa jeunesse. Autant pour elle que pour les trois autres nous ne savons rien de leur processus thérapeutique autre qu’un bref aperçu de la thérapeutique médicamenteuse. Il est certain qu’un documentaire est sélectif dans le but de rendre de façon concise et percutante le message choisi. C’est donc un montage de choix visuels, d’orientation narrative organisés autour de contraintes tel que le temps que peut durer le documentaire.On en retient que la création d’œuvres visuelles a été une sorte de thérapie sans thérapeute, qui pour les patients a été une source de soutien et d’apaisement, de reconnaissance des forces, un outil de connaissance de soi, un échappatoire à la monotonie des lieux ou encore à l’omniprésence des pensées obsessives. Avec toutes les forces du film et de son potentiel à démystifier la maladie mentale, la thérapeutique liée à la création artistique demeure par contre très mystérieuse.

Le film ‘Le diable au corps’ donne voix à quatre patients de l’hôpital Robert Giffard pour qui le programme Vincent et Moi, par le biais de la création et l’exposition de leurs œuvres, a été bénéfique.

La description du programme Vincent et Moi spécifie clairement que ce n’est pas un programme d’art thérapie, mais un programme d’accompagnement soit un soutien à la création et à l’exposition d’œuvres créées qui témoignent de l’individualité des artistes/patients. Il s’adresse aux patients qui ont démontré un intérêt et une capacité à s’exprimer par des médiums artistiques. Un programme d’art thérapie accompagne mais le fait différemment: on ne choisi pas ses participants sur une base de talent ou d’habileté artistique, mais plutôt de besoin mais aussi d’intérêts. La production artistique qui en découle est beaucoup moins cohésive, plus diversifiée dans sa ‘qualité’ et sa complétude. Il n’y a pas de jury qui sélectionne les œuvres non plus, et plus souvent qu’autrement pas d’exposition parfois considérée trop difficile et exigente pour certains participants. Certaines œuvres plus descriptives dans leur nature servent une connaissance intime qui n’a pas d’intérêt ou de valeur thérapeutique à être exposées (scène de viol, d’abus, de torture par exemple).

Dans les deux cas ci-haut décrits il y a des bénéfices thérapeutiques quoique différents. Mais il y a des risques aussi. Sans accompagnement d’un psychothérapeute qui connait le langage des comportements créatifs incluant ses excès(et ce surtout en psychiatrie), il y a risque d’exacerber certaines difficultés. La création artistique n’est pas entièrement innoffensive, elle mène parfois à certains comportements compulsifs, à des dépassements problématiques (ne plus manger ou dormir par exemple), à des abus parfois. La création parfois crée une sur-enchère, on veut aller plus loin et encore plus loin et ce parfois au détriment de sa personne et de sa santé (plus fragile pour la plupart des patients psychiatrisés).

Je ne me souviens plus si le commentaire de Mme Prégent est arrivé après la fermeture des micros ou juste avant, quand elle nous a informé de la réalité des participants depuis la sortie du film. De la sorte elle nous a parlé du succès de Benoit Genest-Rouillier dont les œuvres ont pris beaucoup de valeur sur le marché, que certaines de ses œuvres se retrouvent dans des collections de personnes bien connues telle que Segolène Royal, mais aussi qu’Ann Warren a vécu des périodes de mal-être qui ont suivi de frénétiques périodes de création.

Dans un contexte comme celui-ci où il manque beaucoup d’information sur la situation réelle des participants, garder à l’esprit que ce qui suit dans ce billet demeure spéculatif. Il ne faut en aucun cas voir ces mots comme une évaluation ou encore des recommandations spécifiques.

Ce qui m’amène à me poser une série de questions qui resteront sans réponse mais qui sont importantes à poser. Qu’en aurait-il été si Mme Warren avait eu un(e) psychothérapeute tôt dans sa jeunesse pour accompagner ce travail visuel qu’elle faisait volontier? (en supposant qu’il n’y en avait pas bien sur). Aurait on pu faciliter un dialogue fertile avec l’image récurrente du dragon (symbole de la menace) motif qui continue d’habiter ses œuvres actuelles? Est ce que cette identification précoce aurait pu éviter certaines hospitalisations? Possiblement calmer l’intensité de la peur, afin d’éviter la somatisation et la dissociation qu’elle nomme dans le film. ET qu’en aurait-il été si actuellement Mme Warren avait les services d’un(e) art thérapeute pour accompagner cette création fébrile plus actuelle? Pour nommer les comportements qui peuvent déraper sur le continuum de la création? Ce ne serait certes pas pour stimuler son potentiel créateur qui est fabuleux par lui-même mais plutôt pour établir un œil observateur vigilent qui renvoie soutien mais reste bien ancré dans la réalité des capacités psychiques et physiques de la personne.

Ca sert à ça un(e) art-thérapeute autant la stimulation de la créativité chez les personnes qui n’ont pas l’impulsion de créer, que l’accompagnement de la création de ceux qui ont la capacité d’orienter leur énergie dans ce sens incluant le monitoring des tendances excessives ou problématiques. L’art thérapie moderne n’est plus (l’a t’il jamais été?) qu’un déchiffrage de codes symboliques passé au filtre des différentes théories psychanalytiques pour comprendre l’artiste/patient pour le compte des psychiatres et psychothérapeutes. Non, et non encore! * Un(e) art-thérapeute accompagne le processus créateur d’un individu (ou d’un groupe), afin d’aider le participant à puiser dans ses ressources pour imager ce qui l’habite et ainsi permettre dans un premier temps une mise à distance et dans un second, un regard double (patient et thérapeute) sur ce qui est maintenant visible. Ce processus servira à établir un dialogue avec l’histoire représentée dans la forme et le contenu, qui a le potentiel d’informer sur l’état et le vécu de son créateur.

L’atelier d’art thérapie est un espace potentiel qui porte et supporte, qui accompagne et stimule via les défis que présentent la création (parallèles aux défis du vécu réel) mais surtout via la relation au thérapeute qui devient ainsi un participant observateur. Le développement et l’élaboration d’images et d’objets incitent à porter un regard ensemble sur le résultat. Ce regard n’est pas toujours accompagné d’une explication. Le thérapeute peut tout simplement être un témoin à la création de l’autre (witnessing), en établissant des moyens par lesquels le patient se sent vu et reçu. Parfois la rencontre thérapeutique sert tout simplement à établir une relation à l’autre par un faire ensemble; rendre possible ce qui a été stoppé ou encore tenter de façonner le lien qui n’a pu s’établir. La création tente de faire le pont! Avec les enfants c’est souvent le cas, c’est une création qui est souvent menée par l’enfant, mais accompagnée par le thérapeute dont la participation plus ou moins active varie selon les besoins et les problématiques traitées.

Les dimensions d’espace propice à la création dans le cadre d’une relation, établissent les paramètres généraux sur lesquels la plupart des formes d’art thérapie Nord-Américaines sont fondées. L’emphase sera mis sur un ou plusieurs des éléments suivants: le vécu durant la création, les impressions perçues et/ou exprimées, la relation au thérapeute, la relation à l’espace, le choix et la relation aux matériaux, (préférences, utilisations), la relation à la structure imposée par le cadre thérapeutique, et finalement le narratif (ou non) à propos de l’objet créé. Dans d’autres cas, ce sera de faciliter une première relation aux matériaux et méthodes de création afin de sortir une personne souffrante de son isolement ou encore de son enfermement par exemple.

Voilà pour l’instant le déferlement de ma réflexion post-soirée.

* Il existe des dimensions à l’art-thérapie où les codes symboliques servent à comprendre l’artiste/patient par le biais de tests projectifs. Parfois aussi au cours d’une thérapie, ce qui émerge sert de guide de compréhension au thérapeute. Mais dans la plupart des cas, le travail de décryptage (interprétation) lorsqu’il est présent (il ne l’est pas toujours) en est un qui se fait lorsque possible, conjointement avec l’artiste/patient.


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Publié le 13 mar 2009

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