Etre vu et voyeurisme

Le texte qui suit a été rédigé pour le magazine Communiqu’art pour qui j’écrivais une chronique. Tous les chroniqueurs et abonnés ont dernièrement reçus un avis comme quoi le magazine ne serait plus et ce malgré le récent effort de fusion avec un autre magazine. Il est bien difficile de survivre dans le monde des publications au Québec et Communiqu’art n’a pas été épargné malgré les efforts héroïques d’Éric J. Hughes et son équipe.

Voyeur du mot voir, de regarder intensément, intimement, intrusivement. C’est un regard qui touche, capte et consomme l’objet sur qui ou sur quoi le regard se pose. C’est cette consommation, cette appropriation des yeux qui est l’action pénétrante qui dérange, déroute, transgresse les barrières de la retenue sociale conventionnelle. Et pourtant, tout de notre culture contemporaine nous pousse à devenir voyeur; un voyeur sans le vouloir qui fait ses classes devant les images trop intimes qui déroulent sur nos écrans télé, qui s’affichent sur l’interface de notre PC, qui envahissent les espaces publics de publicités choquantes, violentes parfois à la limite du tolérable. Mais tolérance il y a avec une accoutumance certaine.

L’acclimatation réussie à ce voyeurisme, produit aujourd’hui une société de gens qui se posent volontairement en objet à être vu, commenté, admiré, consommé.Voir, et se faire voir est le modus vivendi de l’individualisme de notre époque, exemplifié par les ‘Beautiful People’. Il ne suffit plus d’être vu par nos proches, par la communauté immédiate (qui font trop souvent défaut), il faut faire éclat, faire des gestes qui attirent le regard, performer pour se garantir l’attention nécessaire qui assurera la reconnaissance de notre individualité ainsi bien campée.

Le besoin d’être visible aux yeux des autres est un besoin primitif qui accompagne notre entrée dans la vie. Un bébé cherche instinctivement le regard de sa mère, il en a besoin pour se construire. Un enfant qui a été mal vu (reproches, rejet, abus) ou encore pas assez vu (ignoré ou négligé), est donc mal soutenu par le regard de l’Autre (ses proches). Ces enfants chercheront rapidement l’estrade sur laquelle ils pourront se mettre en scène pour capter l’attention (positive ou négative), ou encore en réaction, ils éviteront le regard des autres en s’isolant, en s’effaçant, en disparaissant dans les coulisses de la vie, inconfortables lorsque les yeux des autres se posent sur leur personne et leurs réalisations qui de surcroît seront perçues comme étant dévaluées.

Le monde des arts tant qu’à lui, est construit depuis la Renaissance et l’invention des Salons, sur le besoin d’un public, d’une assemblée de yeux qui se posent sur les créations des artistes. L’objet ‘art’ malgré sa dimension transcendante, est somme toute une extension de l’artiste qui l’a créé, un objet-soi. Lorsqu’il y a exposition, l’objet-soi est mis en scène et vient ainsi médiatiser le regard de l’autre (on regarde le tableau fait par l’artiste XYZ). En art-thérapie cette correspondance est accentuée; on jette un regard sur le vécu de la personne par le biais de sa création. L’objet-soi devient ainsi un concept qui souligne l’importance de la création d’objet à l’intérieur d’un processus thérapeutique, un processus d’autant plus important pour les personnes qui tolèrent mal le regard des autres. Ce sera en ‘regardant ensemble’, en regardant respectueusement ces objets-soi que pourra se développer une tolérance du regard d’un autre sur soi, un regard qui se veut bienveillant, supportant, qui ouvre la porte à un vie plus libre sous le regard incontournable d’un vécu en société.


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Publié le 28 mai 2010

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