Tout professionnel se doit de raffiner ses connaissances: pas le choix, c’est nécessaire, car aujourd’hui la connaissance acquise durant notre formation initiale est rapidement dépassée pour devenir quasi obsolète. Il y a tellement de nouvelles avancées, de nouvelles études, de nouvelles recherches, qu’on ne peut plus se reposer sur ses acquis pendant bien longtemps. Le psychothérapeute doit, en plus des fondements de sa profession, bien se connaître afin de différentier ce qui lui appartient des autres manifestations interpersonnelles qui se jouent en thérapie. Un superviseur ou groupe de supervision par les pairs répond habituellement à ces besoins. Un(e) art thérapeute doit ajouter à ces deux importants volets un troisième qui s’avère fondamental à la pratique: la dimension artistique, comme vous l’aurez deviné. Mais qu’est ce que cela implique, et pourquoi est-ce important?
Nous, art thérapeutes, devons cultiver notre identité artistique. C’est un must qui assure ce que Catherine Hyland Moon (2005) appelle la capacité d’empathie esthétique, c’est-à-dire la capacité à cultiver la poïétique inhérente aux faits et aléas de la vie. Elle illustre son propos en donnant les exemples suivants: au lieu de voir le fouillis sur le bureau de votre collègue, voyez-le comme une installation, un ensemble d’éléments qui a une histoire à raconter; de même, les comportements difficiles deviendront une performance artistique qui raconte quelque chose; apprenez à apprécier la musique qui existe dans le pas de quelqu’un, le son du métro, le bruit des portes et les différentes sonneries; la poésie des mots dans les conversations anodines. Cette pratique esthétique aiguise la sensibilité par le biais de cette attention portée à la vie et aux choses du monde qui nous entourent. Nous devenons, comme on dit en anglais, attuned, au diapason, ou encore branché sur ces précieux moments du présent qui nous échappent si souvent. Curieusement, cet effort d’attention redonne vie et profondeur au quotidien, qui n’a plus besoin d’être ignoré parce que trop banal.
Catherine H. Moon (2005) explique pourquoi cela est important:
The refinement of our artistic sensibilities involves a shift from the dominant paradigm in Western society that overvalues verbal, discursive interaction and analytical thinking (Talbott-Green 1989). It brings sensual and intuitive ways of apprehending our experiences to the fore, as equal and interdependant partners with our rational intellect. The quality brought to our cognition through the honing of our artistic sensibilities is empathy (p.50).*
Elle explique plus loin que la distance objective, idéal de nos milieux nord-américains, est avec l’empathie (esthétique), remplacée par une capacité de présence qui apprécie l’interdépendance entre tout et tous, tout en reconnaissant l’individualité bien distincte de chacun.
Une des façettes la plus déterminante de cette capacité d’empathie esthétique est une pratique artistique quelle qu’elle soit. Ca veut dire créer, en petit en grand, après une session, aux pauses, sur le diner, … n’importe où n’importe quand; s’immerger dans le monde des arts est nécessaire, tant en mode réceptif que productif. Il faut nourrir ses sens, entretenir sa capacité d’imaginer et de créer de ses mains.
Faut-il exposer pour valider la pratique artistique? Pour certains, oui pour d’autres, non. En art thérapie, les canons artistiques et les buts sont différents, mais la pratique reste toujours aussi importante. Cela peut vouloir dire tenir un journal visuel très personnel, créer avec nos clients, travailler avec d’autres artistes, se louer un studio, prendre des cours d’art, faire partie de collectifs ou encore collaborer avec d’autres artistes. Ce qu’il faut, c’est créer, que ce soit de façon privée ou publique, qu’importe, mais créer il le faut. Il faut faire l’expérience d’une immersion dans la création, une immersion dans ce monde qui implique d’ apprivoiser des matériaux, des techniques, des outils. Cette immersion implique de vivre le vide, la peur de la page blanche, la panne d’inspiration, la confusion, le manque de direction, l’insatisfaction, la pensée critique, la culpabilité de prendre du temps pour soi quand il y a tellement d’autres choses à faire, etc., mais aussi la joie de voir, réfléte dans nos productions, le sentiment d’accomplissement lorsqu’on termine une oeuvre, surtout si elle comportait des défis. Il faut souvent se battre avec soi-même, mais souvent avec les autres aussi pour valider et préserver cet espace de création qui nous donne tellement en retour, mais qui est trop souvent incompris des autres.
Comment cultiver son identité d’artiste? Comment s’y prendre avec un horaire chargé de travail à temps plein? Lire les prochains billets.
Référence:
Moon, C.H. (2005). Studio Art Therapy: Cultivating the Artist Identity in the Art Therapist. London: JKF editors (Original work published in 2002).
Classé dans esthétisme, pratiques, sensibilité artistique, Thérapie.
Catégorisé dans Arts.
Publié le 21 juil 2009