Chenille, papillon et psychiatrie

Voici ma chronique soumise au magazine Communiqu’art pour le mois d’Août. Elle parle du processus de thérapie, de la création artistique et des petits pas qui suffisent mais parfois ne mènent pas à une transformation complète comme implique celle du papillon.

Transformation

Artist: CoffeLatte
Artist: CoffeLatte

La symbolique de la chenille qui se change en papillon est une métaphore bien connue lorsqu’on parle de  transformation. Le travail en psychothérapie s’apparente tout particulièrement à la nécessité de ramper avant de voler, de regarder de près le terrain foulé parsemé des détails d’une vie vécue en tant qu’humain. La création comporte des processus similaires comme la nécessité de s’approprier une certaine base, de faire le tour des matériaux, de faire l’apprentissage des techniques, de manger et de s’abreuver à même la table de l’expérimentation. C’est ce que l’on pourrait qualifier de travail terrain de la création. C’est un travail messy comme dirait les anglophones, car il impossible de ne pas se salir : les taches font partie du parcours, tout comme la nécessité de se mouiller (prendre des risques), et d’accepter d’être parfois décoiffé (renoncer au contrôle à tout prix).

Le parcours de la chenille vers l’état papillon n’est pas sans embûche. Le processus peut s’arrêter, s’étirer ou avorter pour toutes sortes de raisons. En thérapie je rencontre des personnes dont les embûches ont arrêté ou fait bifurquer leur parcours. La chenille n’en finit plus d’être chenille, elle ne veut pas grandir ou voit son cocon comme un abri duquel elle ne veut plus sortir car le monde est trop menaçant. Le processus de thérapie est aussi périlleux quand on s’y engage, l’aboutissement étant l’inconnu menant il est souhaité avec le temps, à une plus grande légèreté d’être, un sentiment de plus grande liberté intérieure. De plus dans le contexte actuel de la santé mentale, le temps est souvent une denrée rare : on nous répète que nous devons faire plus avec moins, produire de la santé mentale efficiente, penser et panser rapidement, engendrer de la santé selon les données probantes que sont les méthodes éprouvées.

Le but n’est plus de faire passer la chenille qui s’est arrêtée sur son chemin à celui de papillon, mais plutôt de la faire avancer de quelques pas et peut-être d’envisager le stade cocon ou encore d’envisager s’aventurer à l’extérieur. Pas plus parfois. Faire renaître le désir et, si possible, la capacité de poursuivre, ou plus simplement la capacité d’aller vers d’autres ressources. Voilà les objectifs plus circonscrits de la psychiatrie moderne.

L’art en art thérapie est donc fait de petits pas. Les productions sont de courte haleine, l’immersion dans le processus compte souvent plus que l’objet final. On visera par exemple, la capacité d’explorer et de chercher de nouvelles solutions aux problématiques artistiques, en comprenant que ce sont des apprentissages transférables à d’autres domaines de la vie, à commencer par les problèmes personnels sur lesquels les enfants ont un certain contrôle. Pour un enfant trop rigide, le progrès sera mesuré par sa capacité à essayer un nouveau médium artistique (passer du crayon de bois à la peinture, par exemple) ; pour un autre, ce sera sa capacité à créer une forme qui survit à sa destructivité ou pour un enfant timide à investir une plus grande surface de la page, indiquant par là qu’il prend sa place dans le monde. Pour un autre encore, ce sera la capacité de tolérer l’ambiguïté et le désordre inhérent à la création sans trop grande frustration et sans abandonner le projet, ce qui signifie diminuer l’impulsivité et apprendre à vivre sans se désorganiser quand on ne contrôle pas toutes les variables. Il arrive que des papillons émergent de nos rencontres, qu’on assiste à des transformations aux couleurs impressionnantes, qu’un enfant retrouve ses ailes. Mais, pour la plupart des enfants aux difficultés complexes, le changement est plus subtil et exigera davantage de temps dans le paysage souvent compliqué de leurs jeunes vies.

Texte original paru sous le titre: Transformation


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Catégorisé dans Création, Thérapie.

Publié le 08 juil 2009

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Un commentaire à Chenille, papillon et psychiatrie

  1. hélène
    Le 10 août 2009 à 02:15
    Répondre

    bonjour, après lecture de cet article, j’ai été très intéressée.

    je suis en école suprérieure d’art et travail sur un projet d’écriture proche de cet article.

    je suis très proche du milieu médicale, et souhaiterais prendre contact avec une personne travaillant sur les papillons en psychiatrie.

    je remercie l’auteur de cet article mais aussi par avance la personne qui me répondra.

    hélène