Esthétisme : notion difficile à saisir

Comme plusieurs vous répondrez que la définition d’esthétisme c’est la philosophie du beau et de l’harmonie. Après tout quand nous nous présentons chez une spécialiste en esthétique, ce n’est sûrement pas pour en sortir pour avoir l’air d’un Picasso dans sa période cubiste!

Au cours des siècles les concepts et idées rattachés à l’esthétisme ont subis plusieurs modifications. De leur version romantique qui faisait du beau une vérité universelle, à la culture du goût qui s’appuyait sur des critères de connaissances et donc de raffinement (éducation morale ou idéologie politique), la notion d’esthétisme a tranquillement glissée pour devenir synonyme d’arts.

Sur la fin du XXe siècle, l’avant-garde Européen et Américain délaissait les critères d’harmonie et de recherche du sublime pour explorer autrement. C’est l’émergence d’un lexique visuel de contraires, anti-esthétiques qui fait la promotion du discordant, du primitif, et même de la laideur (Maclagan, 1999, p.304). Le concept de représentation perd son ascendant. L’art devient expressif, et mobilise l’affect du spectateur. Puis vient la période de l’art abstrait ou les référents à la réalité disparaissent. Lignes, couleurs et formes deviennent les véhicules pour éveiller la sensibilité. Le concept de forme s’installe. L’esthétisme en temps que champ d’étude devient préoccupé par la réponse des spectateurs et par l’éducation de leur goût. En version post-moderne (milieu du XXe) les références aux critères universels sont suspectes. L’expérience esthétique est plutôt personnelle, subjective et située dans un contexte localisé. Elle sort du cadre de l’oeuvre pour incorporer l’espace environnant et exige une certaine connaissance du spectateur (art conceptuel) ; ou encore, elle peut demander au spectateur une participation active. Celui-ci devient partie intégrante de l’oeuvre! (art relationnel, performance, happening).

En fait, non seulement le concept évolue avec le temps, il n’est pas conçu de la même façon selon les langues. Le dictionnaire (petit Robert) ne donne que la version romantique du concept (beauté); du côté des anglophones, ils parlent de perception et d’appréciation; tandis que du côté étymologique le mot provient du grec ‘aisthêtikos’ et fait référence à sentir. En langue anglaise l’étymologie de « aesthetics » (sentir) peut être contrastée avec « anaesthetic » ou qui produit l’insensibilité. Le contraire d’esthétique serait selon cette version de ne rien sentir!

En art thérapie nous composons souvent avec des espaces picturaux fragmentés qui mettent en scène laideur, discorde, émotions primitives et contenus difficiles, des productions qui ne prennent que très peu de temps. Parfois le processus de création est celui qui met en scène les difficultés de l’artiste/patient. Les enfants par exemple joueront à mélanger la peinture qui deviendra excrément, de la boue, le ‘ouach!’ de leur vie; ou encore feront des dégats, la peinture devenant autre qu’un matériau avec lequel une représentation sur papier est créée. Le monde chaotique et primitif de l’enfant souffrant s’exprimera hors du cadre de la feuille pour devenir une performance avec un narratif corportemental dans le cadre plus large de la thérapie. C’est une version post-moderne si l’on veut, personnelle et située dans le contexte très restreint de la séance de thérapie.

Une notion d’esthétisme qui se définie restrictivement comme une recherche d’harmonie et de beauté passe à côté de son étymologie qui veut que les sens et leur affect soient mobilisés par l’expérience esthétique. L’art est une manifestation de la vie dans toutes ses dimensions incluant le senti plus difficile, les états d’âmes sombres aux couleurs disgracieuses et toute la panoplie des incohérences et ambiguités d’une vie humaine. L’art en art thérapie offre un espace à l’ensemble des manifestations affectives et artistiques qui très souvent sont sans mots, et parfois même précèdent une imagerie précise ou une forme organisée pour les représenter. Que des traits, des bouts de papier, des montagnes de colle, des mètres de ruban cache, ou encore des marres de peinture qui parleront symboliquement.


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Publié le 04 août 2008

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