Exposer les oeuvres des patients; considérations éthiques
J’ai tout dernièrement reçu une demande afin de contribuer à un concours de dessins pour des jeunes patients de la pédopsychiatrie. Le projet consistait à mettre à contribution les talents des jeunes dans le but éducatif via la thématique mais aussi de décorer un nouveau service moyennant certains prix. La demande qui a prime abord semble anodine et ludique, est beaucoup plus complexe et pose certains défis éthiques. Voici certaines considérations qui s’appliquent tant aux adultes qu’aux enfants.
- Toute oeuvre artistique produite dans un milieu institutionnel appartient implicitement au patient. L’oeuvre artistique est une prolongation de la personne qui l’a produite. C’est à lui d’en disposer comme bon lui semble: « The work created by the patient belongs to him and only the patient/author of the artwork can, in principle, decides over its use » (Carbonell 2007, European Psychiatry, p. S27).
- S’il y a exposition, un consentement éclairé devra précédé celle-ci afin d’explorer les implications d’une association entre oeuvre/patient-artiste et milieu psychiatrique.
- Cette association à un milieu psychiatrique même si hors du cadre d’une thérapie par l’art n’est pas simple. Plusieurs patients ne tiennent pas à rendre cette réalité publique directement ou même indirectement via leur art.
- Mais certains patients adultes passent outre voulant vivre pleinement leur identité d’artiste ou encore prennent une position plus politique, l’art comme voix de conscientisation. Un consentement éclairé auprès d’une personne compétente est plus que souhaitable.
- S’il y a vente d’oeuvres, le profit devrait faire l’objet d’un accord préalable et de préférence être payé en majeure partie sinon en totalité à l’artiste patient.
- De nombreux cas d’exploitation ont été dévoilés dans l’histoire de la psychiatrie où les oeuvres de patients particulièrement talentueux ont été vendus à fort profit sans pour autant avoir été partagés avec l’artiste. Le marché de l’Art Brut ou ‘Outsider Art’ va chercher des sommes qui vont maintenant jusqu’à cent mille dollars pour certaines oeuvres (Sweig & Cohen, 1998).
- Le centre Wellington, s’est penché sur le sujet. Ils ont une boutique où les profits sont redistribués aux participants, et font souvent des vernissages où les oeuvres des patients sont exposées avec leur consentement. Les profits appartiennent aux patients-artistes et la reconnaissance fait partie intégrante des objectifs de ces activités.
- Lorsqu’un jeune est le patient concerné, le parent ou encore la personne qui a la garde légale doit être adéquatement informé. Les dessins et peintures d’enfants doivent faire l’objet de considérations similaires à celles présentées ci-haut. L’initiateur (personnel, professionnel, institution) doit éviter le plus possible toute connotation d’exploitation de la production des patients tant adultes en position de vulnérabilité que jeunes en situation de soins.
Dans le cas de la demande initiale, plusieurs modifications devront être apportées au projet afin de respecter la dimension éthique d’une production artistique en milieu psychiatrique.
En art thérapie l’exposition d’oeuvres n’est de toute évidence pas prise à la légère. Pour certains art-thérapeutes l’exposition publique des oeuvres d’un patient est proscrite car le potentiel d’exacerber certains symptômes est potentiellement accru. Pour d’autres art-thérapeutes d’approche plus socio-communautaire, le développement d’un identité d’artiste (qui vient contrebalancer l’identification à la maladie mentale) peut faire partie des objectifs thérapeutiques et ainsi passer par une exposition grand public. C’est le patient qui aura ce choix. Pour les patients qui veulent parler de leur réalité ou encore commenter certains problèmes sociaux par le biais de leurs oeuvres, exposer est une nécessité qui a aussi un potentiel thérapeutique, car l’art leur donne une voix différente, un moyen de dire via l’intermédiaire qu’est l’imagerie esthétique. Avant de procéder, la réalité d’une exposition fera l’objet d’une discussion approfondie entre patient et thérapeute et se poursuivra tout au long de celle-ci afin d’adresser ce qui vraisemblablement émergera de ce bain public.
Vous pouvez voir plusieurs oeuvres d’artistes-patients dans les collections web suivantes: les Impatients affiliés à l’hôpital Louis H. Lafontaine à Montréal, le programme Vincent et moi de Robert Giffard à Québec, la collection Cunningham Dax de Grande Bretagne et bien d’autres au niveau international. L’exposition des oeuvres de patients sur le web est un sujet qui obligera à une autre réflexion en profondeur.
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Publié le 03 avr 2008