Les mots suivants sont partout dans les médias depuis mercredi matin : Anik Jean, intimidation, minable et schizophrène. Pourquoi? Parce que la chanteuse a choisi un moyen assurément douteux et certainement de mauvais goût pour faire la promotion de son nouvel album qu’elle a décidé d’appeler « Schizophrène ».
Je vous présente la petite histoire en quelques lignes. Des journalistes culturels reçoivent des messages anonymes les menaçant. Ceux-ci sont fabriqués à partir de petites lettres découpées, un peu comme dans les films de bandits. Sur le premier, on pouvait lire « minable » et le second mettait en garde avec : « je n’arrêterai pas ». Puis, des semaines plus tard, un communiqué de presse arrive et explique que ces deux messages n’étaient en fait que des outils promotionnels pour un nouvel album-concept décliné en quatre personnalités et signé Anik Jean.
Apprenant que tout ça n’était que canular, les journalistes choqués ont multiplié les chroniques sur le sujet. On les comprend bien. L’idée était totalement ridicule.
Anik Jean et son équipe chez Sphère Musique se sont défendus en expliquant que le but était de sensibiliser les gens à l’impact de l’intimidation et la peur qui en découle. Constatant la réaction des chroniqueurs et le résultat obtenu sur les réseaux sociaux, selon eux, l’objectif a été atteint.
Sauf que toute la journée, dans les dizaines de textes qui ont été publiés sur le sujet, un triste fait est observable. Une association involontaire et non fondée s’est cristallisée entre les concepts de lettres de menace, d’intimidation, de violence, de personnalités multiples et la maladie de la schizophrénie. Pardonnez-moi, mais je tiens à dire qu’aucun lien démontré n’existe entre tous ces éléments. Pourquoi alors cette association? Où diable est que Mme Jean est allée chercher ça? Comment choisir Schizophrène pour le nom d’un album dont la campagne de promo est calquée sur des comportements violents? L’artiste semble avoir été très mal conseillée…
L’idée de mélanger aussi grossièrement les cartes en jouant avec ces notions, puis d’ensuite coller l’étiquette de la schizophrénie à tout cela est, à mon sens, une erreur de jugement évidente ou un manque de connaissance certain. De grâce, informez-vous avant d’emprunter de tels chemins.
Bien sûr, pour les artistes, le fait d’aborder le sujet de la santé mentale n’est pas un phénomène nouveau. En musique, plusieurs ont fait de la maladie mentale, une muse inépuisable. Capables de mettre, de façon touchante et réussie, des mots et des mélodies uniques sur des états d’âme douloureux et sur des épisodes de vie profondément difficiles, ils y arrivent sans jamais créer de malaise ni en faire un argument de vente. Ces artisans contribuent à encourager un discours ouvert sur la maladie mentale et peuvent être fiers de leurs réalisations.
Et pour Anik Jean, sans critiquer son œuvre parce que c’est loin d’être mon rôle, je me questionne réellement de la pertinence d’aller aussi loin, soit jusqu’à choisir le nom d’une maladie mentale comme titre d’album.
Est-ce que les maladies mentales seraient maintenant devenues des mots à la mode? Un truc cool? Une façon hip d’illustrer la tourmente de l’artiste? Pire, des mots qui vendent et qui rapportent? Qui voudrait intituler un album Leucémique, Hypertendu ou Diabétique?
Anik Jean et Sphère Musique croient peut-être avoir visé dans le mille avec leur campagne. Parlez-en en bien, parlez-en en mal, comme on dit. Mais malheureusement, Anik Jean a aussi grafigné le cœur milliers de personnes, patients, parents et amis, touchés par la schizophrénie. Alors que pour eux, la déstigmatisation et une compréhension juste de la maladie sont des issues permettant un plein rétablissement, un tel évènement est regrettable.
Finalement, si tout ça s’inscrit dans une démarche artistique qui m’échappe, expliquez-moi. Mais surtout, je serais bien curieux de vous entendre sur le sujet.
par Charles-Édouard Carrier
Classé dans album, anik jean, intimidation, menace, minable, schizophrenie.
Catégorisé dans Stigmatisation.
Publié le 09 jan 2013
Le 9 jan 2013 à 23:41
Je suis également troublée par cette utilisation du mot «schizophrénie » en lien avec des mots et des gestes exprimant la violence.
Il faut que cela cesse ! Ce ne sont pas les maladies qui sont violentes, ce sont les tempéraments qui le sont. J’explique cette nuance dans un article intitulé « criminalité et schizophrénie » (www.schizophrenedanslacite.com).
Compte tenu de tout ce que vous dites, Anik Jean a selon moi été mal conseillée par son agence marketing. L’impératif d’être accrocheur et vendeur à ses limites. Fâcheusement, comme vous dites, parfois le scandale fait vendre plus que la vertu. La preuve, j’entends parler à l’instant de cette artiste auparavant complètement inconnue de moi. Qu’à cela ne tienne, je n’irai pas acheter son album, qu’elle en soit certaine.
Frédérique Larue
Le 10 jan 2013 à 12:59
Bonjour,
votre article résume bien ce que je pense. Toute cette histoire provoque un malaise en moi et je crois aussi que cela fera augmenter la stigmatisation à l’égard des personnes atteintes de schizophrénie – qui ne sont, pour la plupart, pas dangereuses – et de toute autre personne atteinte d’un problème de santé mentale. Je ne comprends pas ce qu’à voulu illustrer Mme Jean. C’est troublant.
Le 10 jan 2013 à 15:11
J’ai moi aussi eu un petit malaise en lisant le lien « artistique » entre schizophrénie et intimidation. L’aura paranoïde que semblait vouloir créer Mme Jean avec ses lettres anonymes ne semble pas servir ni son album, ni son propos. Je tenterai d’écouter ou de lire les paroles de son nouvel album mais cela n’augure pas très bien. Le chemin pour contrer la stigmatisation sera encore long…
Le 17 jan 2013 à 16:53
Bonjour,
Merci d’ouvrir le débat à ce sujet. Il fallait réagir, assurément; pas question de rester silencieux devant cette campagne promotionnelle et les associations (erronées!) qui ont été faites entre schizophrénie et intimidation. Le seul lien entre ces deux éléments est le suivant: une personne atteinte de schizophrénie est bien souvent victime d’intimidation et de préjugés liés à son état.
Je vous invite à lire la réaction de la Société québécoise de la schizophrénie à ce sujet.
http://www.schizophrenie.qc.ca/nouvelles/reactions-de-la-sqs-a-la-campagne-promotionnelle-de-lalbum-schizophrene-danik-jean.html
Bonne continuation, au plaisir de vous lire!