Je viens de recevoir le dernier numéro de Communiqu’art pour lequel j’écris une chronique. Le texte soumis parle de la problématique liée aux découpages et étiquettes qui servent à identifier expériences et objets tant en art qu’en santé mentale. Le texte suit.
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Art hors norme, primitif, brut, en marge
(Chronique Communiqu’art, thème Primitif )
Comment définir une oeuvre d’art? Par ses matériaux, son sujet, la forme de ses contenus, le groupe d’appartenance de ceux qui les produisent, par une époque, une réaction à ce qui se faisait antérieurement, par l’intention qui anime une production, par son emplacement, par ses processus ou autres permutations qui actionnent l’histoire de l’art contemporaine. En théorie toutes ces réponses sont bonnes; les théories de l’art se conjuguent à toutes ces sauces.
En combinant primitif à art par exemple, on obtient la dénomination ‘art primitif’ qui délimite des objets créés par les peuples indigènes. C’est une désignation qui s’appui sur le fait culturel pour nommer. Une définition demeure une démarcation qui circonscrit, qui délimite. Elle est située dans un contexte socio-historique et géographique; mais est aussi informée par ceux et celles qui ont le pouvoir de définir. Une définition peut devenir dépassée avec le temps mais leur révision rarement anticipée; plusieurs définitions deviennent ainsi obsolètes avec le temps. Définir c’est aussi positionner à l’intérieur d’une hiérarchie horizontale (la marge par opposition au centre) et verticale (ce qui est primé, valorisé).
L’art brut, souvent associé à l’art des patients en psychiatrie, est une autre de ces désignations problématiques. Le terme inventé par le peintre Jean Dubuffet servait à désigner l’art des exclus et des personnes autodidactes dépourvues de conditionnement culturel et de conformisme social.
Brut veut aussi dire sans raffinement, sans la sophistication imputée par un enseignement formel. Brut veut également dire instinctif, près des pulsions primaires, du ressenti et de l’action. Henri Barras (2007) historien d’art parle d’ART CRU qu’il contraste à ART CUIT—terme qu’il utilise de façon péjorative pour désigner l’art des professionnels. L’art des personnes psychiatrisées serait selon lui, de l’ordre de l’art cru, un art primitif, primordial, près des instincts et du ressenti; un art plus vrai car moins contraint par les influences de la culture dominante.
Suzy Gablik (1991) parlera à son tour d’époque désenchantée en rapport avec l’art contemporain; une époque où tout et rien peut être reconverti par le simple fait de le rebaptiser art. Il n’existe plus de marge en art, plus de périphérie, plus de lieu d’exclusion; la marge est devenue le centre, l’exclusion une norme appropriable. De nos jours les graffitis sont au musée, tandis que la Mona Lisa vend de la pâte dentifrice dans les médias de masse! Il reste par contre de vrais exclus.
L’art brut garde donc une identité située dans une zone en marge de l’art conventionnel. Dans le cas d’œuvres produites par des personnes « ayant subi une rupture sociale et psychologique » la marginalité de leur art est attribuée, par association, à leur problématique. Est-ce que le statut de patient concède forcément l’appellation art brut aux oeuvres surtout dans un contexte contemporain? Plusieurs patients se rebelleront contre la connotation pathologique du nom et voudront plutôt se faire reconnaître comme artiste à part entière.
Dans le cas d’artiste ayant un problème de santé mentale, l’identité première reste trop fréquemment celle de la maladie; la stigmatisation obstinée d’un diagnostic qui porte un poids certain. Une démarche d’art-thérapie qui s’attarde à relever l’identité artistique du patient et à promouvoir sa production offre un sursis certain, en nourrissant la volonté de création qui est caractérisée par une pulsion de santé et de vie; faisant ainsi un important contrepoids identitaire à la réalité de la maladie. Mais est-il possible de catégoriser ces œuvres par la dénomination ‘art brut’ sans à la fois rappeler la maladie ? J’en suis de moins en moins certaine.
Références et lectures complémentaires:
1. Art Brut (définition). http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Dubuffet
2. Barras, Henri (2007). De l’Art Cuit à l’Art Cru : Aux Sources de la Création. Montréal : Éd. Liber.
3. Gablik, Suzi (1991). The Reenchantment of Art. New York: Thames & Hudson.
4. ____ (1984). Has Modernism Failed? New York: Thames & Hudson.
5. RawVision: the World’s Leading Journal of Outsider Art, Art Brut and Contemporary Folk Art. http://www.rawvision.com/mainmenu.php
6. What is Outsider Art ? http://www.rawvision.com/outsiderart/whatisoa.html
Classé dans Art brut, art cru, art cuit, art primitif, communiqu'art, Henri Barras, Jean Dubuffet, psychiatrie, santé mentale, stigmatisation, Suzy Gablik.
Catégorisé dans Arts.
Publié le 02 mar 2010
Le 16 avr 2010 à 06:20
Trés interressant !